Je laisse au lecteur à se figurer le plaisir
que nous éprouvâmes en nous revoyant.,,..
Les Japonois avancèrent aussitôt une chàise
à M. Ricord. Les interprètes nous dirent que
nous pouvions nous parler aussi long-temps
que nous le voudrions, puis ils se retirèrent
de côté sans prêter l ’oreille à notre entretien.
On peut aisément s’imaginer que la jo ie , l ’é -
tonnement, la curiosité nous firent mutuellement
nous adresser des questions et des réponses
qui se croisoient sans cesse. M. Ricord
désiroit savoir tout ce qui nous étoit arriv
é durant notre captivité ; de mon côté, je
m’informois des événemens qui s’étoient passés
en Russie; nous allions ainsi d’un sujet à
un autre sans en épuiser aucun. Enfin, je lu i
communiquai l ’objet principal de notre entr
e v u e , et des souhaits des Japonois. M. R icord
me fit part des-' instructions qu’il avoit
reçues du gouverneur c iv il d’Irkoutsk, relativement
à une détermination de limites et à
l ’établissement de liaisons amicales entre les
deu x empires. Après avoir réfléchi à la situation
des choses, nous convinmes que les demandes
des Japonois étoient j ustes, et quë
nous devions y faire d ro it; mais nous ju geâmes
que ce n’étoit pas un moment convenable
pour entamer des négociations sur une
fixation de limites et une alliance. Vo ici nos
motifs : Les papiers que nous avions traduits,
nous avôient fait connoître les conditions
auxquelles le gouvernement japonois ayoit
permis au bounio de Matsmâï de nous mettre
en liberté * et la déclaration qu’il devoit nous
notifier. Le bounio ne pouvoit donc rien répondre
à une nouvelle proposition de notre
part, avant d’avoir reçu des ordres de la capitale.
Il falloit, en ce c a s , que la corvette h ivernât
dans le port de Chakodade, ce qui ne
pouvoit avoir lieu sans nous mettre entièrement
à la discrétion des Japonois;car, quoique
le port ne gèle pas, l’hiver est rigoureu x
et long. L ’équipage auroit été exposé à des
périls n omb reu x, et la corvette auroit même
pu Se trouver dans un état qui ne lu i eût pas
permis de partir. En outre, les tempêtes q u i
se font sentir en h iv e r eussent pu la faire
chasser sur ses ancres et la jeter à la côte.
En demandant au x Japonois que l ’équipage
passât l ’h iv e r à terre, et que la corvette fû t
désarmée et placée dans un lieu sûr, il auroit
fallu accepter les mêmes conditions auxquelles
s’étoient soumis Resanoff et tout son monde