Durant toute la traversée, nous fûmes presque
constamment enveloppés de brumes épaisses,
seule incommodité que nous éprouvâmes,
car les vents continuèrent à être favorables
et m odérés. Mais quelle violente tempête s’é-
le v o it dans mon ame, tant que j ’aperçus K o u -
naschir, en vu e de laquelle les vents contraires
nous retinrent quelques jours. Quelquefois
un léger rayon d’espérance me fo rti-
fio it; je me ilattois de n’être pas séparé pour
toujours de mes amis. Depuis le matin j usqu’au
so ir , je tenois la lunette dirigée vers l ’île fatale.,
espérant que j ’apercevrois sur un canot
quelqu’un d’entre eu x qui auroit réussi à se
sauver. Mais quand nous entrâmes dans l’o céan
o r ien ta l, où les brumes nous përmet-
toient à peine de vo ir à quelques brasses
autour de n o u s , je fus en proie aux pensées
les plus affreuses, qui ne me laissèrent de
repos ni le jour ni la nuit. J’habitois la même
chambre que j ’avois partagée pendant cinq ans
avec mon ami Golovnin, et dans laquelle
beaucoup de choses se trouvoient encore,
comme il les y avoit laissées. T ou t m’y rap-
peloit vivement sa présence. Souvent les
officiers qui m’apportoient leurs rapports,
entraînés par l ’habitude, m’appeloientGolovn
in ; e t , chaque fois que cette erreur leur
é ch ap p o it, les larmes nous venoient a u x
y eu x . Combien de fois ne nous étions-nous
pas entretenus de la possibilité de rétablir la
bonne intelligence avec les Japonois, qui
n’avoit été troublée que par la conduite in sensée
d’un homme téméraire! Combien nous
nous réjouissions, à l’idée de pouvoir etre
par-là utiles à notre patrie! Hélas ! à présent,
Golovnin avec deux officiers distingués et
quatre matelots nous étoient ravis par une
nation fameuse en E u ro p e , par les cruelles
persécutions qu’elle exerce contre les chrétiens
; leur sort étoit couvert d’un vpile que
nous ne pouvions pénétrer.
Après seize jours d’une navigation heureuse,
nous arrivâmes devant Ochotsk. L ’église
neuve fu t le premier objçt qui s’offrit à
nos regards. Depuis long-temps nous n’avions
pas eu la consolation d’en apercevoir une.
L ’aspect d’un temple chrétien donne une
nouvelle vie à tous les navigateurs, et à plus
forte raison à ceux qui luttent contre 1 infortu
n e ; il éveille chez eu x l ’idée d’un açccueil
amical de la part des habitans du pays où ils
von t aborder. La langue de te rre , ou, pour
mieux d ir e , le banc de sable sur lequel