V o ilà , suivant les idées reçues en E u ro p e ,
un sentiment de l ’honneur prodigieusement
chatouilleux ét exalté; mais les Japonois regardent
comme des actions héroïques les
excè s’auxquels il entraîne. La mémoire d’un
homme qui s’est conduit de cette manière
est honorée, et sa gloire rejaillit sur sa famille.
Si un Japonois agit différemment, ses
enfans sont expulsés du lieu de leur naissance.
C’étoit cependant un homme imbu
cl’idées aussi te rrible s , qui avoit demeuré
dans un même appartement avec m o i, et
près de qui j’avois tranquillement reposé.
Dans le trouble extrême que me causa la découverte
du danger auquel j’étois échappé, je
dèmandai à Tacataï-Caki pourquoi il n’avoit
pas v o u lu étendre sa vengeance plus lo in ,
puisqu’il auroit été en son pouvoir de se défaire
de tous les Russes qui étoient à b o rd ,
en mettant le feu. à la sainte-barbe. — « E h
et q u o i, r e p r it - il, y auro it-il en cela quel que
« hardiesse? I l n’y a que les lâches qui
, « exercent leu r vengeance dans l’oinbre;.
« Crois-tu donc que je t’aurois égorgé pence
dant ton sommeil? m o iq u it’honore comme
cc un valeurëux natschalnik? Non/je t’aurois
« attaqué ouvertement. »
Homme singulier; je ne p u s , après tous
ces a v e u x , que l’estimer davantage.
Pleinement réconcilié avec lu i, je le conduisis
à terre le lendemain. En nous approchant
du rivage, nous aperçûmes deu x Japonois
sortant du fo r t; à notre joie extrêm e ,
nous les reconnûmes bientôt pour les matelots
de Caki. Après être débarqués, nous les
attendîmes sur les bords d’un ruisseau qui
côuloit v is -à -v is le mouillage de la corvette.
Ils nous dirent que le commandant de
Kounaschir les avoit bien reçus et consentoit
à ce que mon équipage v în t à terre remplir
d’eau les barriques, à condition que npus ne
passerions pas le ruisseau du côté du fort. Ils
ajoutèrent que trois magistrats d’un rang distingué
alloient arriver à Kounaschir pour
traiter avec nous. Ils les nommèrent, et T a -
cataï reconnut les deux plus anciens pour
ses bons amis. Les matelots ne savoient rien
de p lu s , sinon que le commandant a vo it
exprimé le souhait de s’entretenir avec leur
maître aussitôt quhl seroit possible. I l avoit
examiné quelques bagatelles dont je leu r
avois fait présent, et leur avoit défendu d’en
rien garder; de sorte qu’ils rapportoient tout
dans un paquet. Je pensai que cette conduite