Ï1 changea de visage à l’instant, et, avec une
contrainte marquée, me remercia de l’avis et
lue dit: « C’est bon, j’écrirai seulement que
« l ’on iie m’attende plus chez moi; puis il
continua ainsi avec la plus grande émotion t
« Moi v o u lo ir me tu e r, ne plus aller à la
« mer, dois mourir chez les Russes.' » Un
homme > dans cette disposition d’esprit, ne
pou voit plus nous être d’aucune utilité. Il
nous sembloit très-naturel qu’après avoir
passé en Russie six années qui avoient dû
être pour lu i s ix années de sotiffiances, il
éprouvât des sensations si violentes; mais en
même temps je devois craindre q u e , dans un
accès de désespoir, il n’attentât à ses jours. Je
me décidai donc à le mettre à terre, pour
qu’il allât communiquer encore Une fois nos
désirs au commandant, et l ’engager à a vo ir une
conférence avec moi. Quand je lu i iis part de
ma résolution, il jura qu’il reviendrait sans
faute,quelle que fût la nouvelle qu’il eutàm’ap-
porter, pourvu qu’on ne le retînt pas de force.
Comme il étoit possible que ce cas eût lie u ,
j ’eus recours à la précaution suivante : J’env
o y a i avec Léonsaïmo un autre Japonois qui
avoit déjà été à te rre , et je remis à Léonsaïmo
trois billets. Sur ,l’un étaient écrits ces mots:
îe capitaine Golovnin et les autres sont à
Kounaschir; sur le second, ils ont été conduits
à Matsmaï, à Nangasaki ou à lédo; sur
le troisième, ils sont morts. Dans le cas où
l ’on ne permettrait pas à Léonsaïmo de reven
ir, il devoit remettré un de ces billets au
Japonois, sauf à y ajouter ou en effacer quelque
chose, suivant ce qu’il aurait appris.
L e 4 septembre, nous mîmes les deuxJaponois
à terre. Dès le lendemain, noua les vîmes
sortir tous deux de la v ille , ce qui nous combla
de joie. Nous envoyâmes aussitôtle canota
leur rencontre, en nous livrant au x plus
douces espérances. Comme nous suivions
des y e u x les d eu x Japonois, nous vîmes le
compagnon de Léonsaïmo le quitter et se
cacher dans les broussailles. Ce dernier arriva
s eu l; je lu i demandai ce que son camarade
étoit d e v en u , il me répondit qu’il n’en savoit
rien. Nous l’entourions, impatiens d’entendre
ce qu’il alloit nous raconter ; il me pria de
descendre dans la chambre: là , en présence
de M. Roudakoff, il m’apprit qu’il avoit eu
bien de la peine à arriver jusqu’au commandant.
C e lu i-c i, sans-lui laisser le temps de
par le r, lu i demanda pourquoi le capitaine
n’étoit pas ven u à terre: « Je n’en sais rien,»
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