P R EM IÈ R E S E C T IO N .
S u r l e s d i f f é r e n t e s e s p è c e s d e C r o c o d i l e s v i f an s e t s u r
L E U R S C A R A C T È R E S D I S T IN C T I F S .
A r t ic l e pr em ie r .
Remarques préliminaires.
L a détermination précise des espèces et de leurs caractères distinctifs
fait la première base sur laquelle toutes les recherches de
l’histoire naturelle doivent être fondées. Les observations les plus
curieuses, les vues les plus nouvelles, perdent presque tout leur
mérite quand elles sont dépourvues de cet appui ; et malgré l’aridité
de ce genre de travail, c’est par là que doivent commencer tous ceux
qui se proposent d’arriver à des résultats solides.
Mais depuis long-temps les naturalistes ont pu s’apercevoir que
les grands animaux sont précisément ceux sur les espèces desquels
ou a le moins de notions exactes, faute de pouvoir réunir et comparer
immédiatement plusieurs individus, soit à cause de leur grandeur
et de la difficulté de les tuer, de les transporter et de les conserver,
soit à cause de l’éloignement des climats qui les produisent.
Ce n’est, par exemple, que dans ces derniers temps qu’on a appris
qu’il existe plusieurs espèces à’éléphans et de rhinocéros, et quoique
l’on ait eu plus anciennement des soupçons sur la multiplicité de
celles des crocodiles, on peut dire que les caractères qu’on leur assignait
étoient si variables,. et quelquefois si peu conformes à la vérité,
que ceux quinioient cette multiplicité d’espèces ne pouvoient
être blâmés.
Les anciens, qui auroient pu comparer le crocodile proprement
dit des Indes avec celui du N il, ne sont point entrés dans ce détail :
l’un d’eux seulement a indiqué d’un mot le gavial et le crocodile
ordinaire du Gange ( i ) , et ils n’ont observé avec un peu d’attention
que le crocodile d’Egypte (2). Il est vrai qu’ils l’ont mieux connu
que l’hippopotame.
Hérodote en donne une description et une histoire fort exactes (3) ,
et dont les erreurs même sont fondées sur quelque chose de vrai,
ainsi que l’a prouvé M. Geoffroy (4).
Aristote au reste avoit déjà réduit à leur juste valeur quelques-
unes de ces assertions plus ou moins erronées du père de l’histoire,
et avoit ajouté à la description extérieure et intérieure de cet animal
plusieurs détails très-vrais. Les successeurs de ces deux grands écrivains
ne firent que les copier (5) , ou n’ajoutèrent à leurs récits que
des traits suspects et mêlés d’idées superstitieuses (6).
Telle a été .en effet l’incurie-des Romains, qu’avec des occasions
infiniment plus nombreuses qu’aucune autre nation d’observer des
animaux rares, ils n’ont jamais pris cette peine par eux-mêmes. On
peut le leur reprocher à l’égard du crocodile autant et plus qu’à
l’égard de l’hippopotame. Ils virent ces deux animaux ensemble, pour
la première fois, sous l’édilité de Scaurus (7). Les crocodiles y étoient
au nombre de cinq. Dans une autre occasion l’on vit à Rome de ces
animaux conduits par des habitans de Dendera, qui jouoient en
quelque sorte avec eux (8). Un des spectacles les plus étonnans de
ce genre fut sans doute celui que donna Auguste’, l’an de Rome 748,
sept ans avant notre ère. Ayant fait remplir d’eau le. cirque de Fla-
minius, on y montra et l’on y fit périr trente-six crocodiles (9). *•
(!) Æ lie n , lïb. X I I , cap. M
• N. B. Je ne parle pas ici.de leur crocodile terrestre ou scinque, qui n'est autre qu’un
monùor ( Youaran e l hard, monitor terrestre). GeoffrV.'p Eept. d’E g ., I , 2 ; Séb ., I ,
X C V I I I , 3. • • ’ ! v .
{3) Lib. I l , Eu t erp., cap. LX V III et suiv.
. (4) .Ann. du Mus., t. I I , p. 3.7.
(5) Diodor.y lib. I , cap. X X y P l in ., lib. V I I I , cap. X X IV .
(6) Tel est ce nombre de 60 appliqué à leurs dents, à leurs vertèbres et à leurs oe u fs e t c . r
par Æ lie n > lib. X , cap. 21.
(7) P l i n . lib. V I I I , cap. X X V I -
(8) Strab. , lib. X V I I , p. 814.
(9) Dion Cassius, lib. L V , p. mea 555.