tout le monde respecte; on célèbre des fêtes devant
ces arbres a jour fixe. M. Peyssonnel en
cite entre autres un qui était dans le centre du
pays, et qu’on appelait Panagiasan ; le culte
qu’on lui rendait était une vraie idolâtrie.
M. de la Motraye, qui parcourut la contrée
en 17 1 1 , raconte aussi que les Tcherkesses des
montagnes marchaient en procession, avec des
torches allumées, autour de ces arbres consacrés
, au pied desquels ils sacrifiaient divers animaux,
comme taureaux, béliers, agneaux, chèvres
et brebis. Leurs mages ou prêtres, choisis
parmi les plus vieux d’entre eux, en distribuaient
la viande aux assistants, et en portaient aux malades
et aux pauvres qui étaient absents. Ces
sortes de prêtres ne savaient ni lire ni écrire, et
se contentaient de répéter certaines formules de
prières, qu’ils transmettaient à leurs successeurs
telles qu’ils les avaient reçues.
De tout temps les peuples du Caucase ont penché
vers le druidisme (1), c’est-à-dire qu’ils ont
eu de tout temps le plus grand respect pour les
vieux arbres, dans lesquels ils croyaient qu’habitaient
des divinités invisibles. Dü plus ou du
(1) Procope de Bello Goth., liv. IV, p. 471 , dit expressément
que les Abasghiens adoraient encore de son temps
les forêts et les bocages, mettant les arbres au nombre des
dieux.
moins, cet antique respect, cette adoration pour
les arbres s’est affiliée avec la religion chrétienne.
Il n’y a pas d’église ni de chapelle en
Colchide sans quelques vieux arbres qui l’ombragent
ou qui l’entourent. Les Abkhazes, qui
ont conservé plus de traces du christianisme que
les Tcherkesses, ont aussi des arbres consacrés.
Les apôtres du christianisme auront profité
de ce respect pour les arbres, auront gravé des
croix dessus ; peut-être que les chapelles en bois
qu’on avait bâties à côté, auront disparu, et
ainsi se seront assimilés des usages du christianisme
à l’ancien druidisme.
Aujourd’hui encore, suivant le récit de
M. TaitboutdeMarigny (1), dans les environs de
Ghélindjik, des prêtres couverts d’un simple
bourca, ou manteau de feutre, s’avancent vers
la croix qui consacre le bois, au milieu d’un
peuple qui garde le plus profond silence, et
adressent des prières au Créateur pour lui demander
la conservation de leurs champs, l’abondance
des moissons et de les exempter de la
peste. Plusieurs petites bougies sont attachées à
la croix. Avec l’une d’elles, ils brûlent un peu
de poil d’un boeuf qui va être immolé, et sur la
tête duquel ils versent du bouza, dont on fait
(1) TaitboutdeMarigny, éd. Klaproth, ï, 307, dans le
Voyage de Jean Potocki.