Reprendre les idees de M. de Scassi n’était
plus faisable; on avait irrité les Tcherkesses par
de fausses mesures; on avait donné le temps aux
Turcs de reprendre leur prépondérance : le moment
propice était passé, la terreur qu’avait inspiré
la peste apportée par les Turcs, et qui avait
diminue de deux tiers la population du pays,
était en partie oubliée.
Un peuple comme les Tcherkesses, chez lesquels
le brigandage est de première nécessité
et même une vertu, s’étonne de ce qu’on lui en
lait un crime et de ce que l’on veut le priver de
sa liberté pour cela ,: il s’en offense, et plus il
est brave, plus il fait d’efforts pour repousser
l’ennemi injuste qui veut lui ôter sa liberté et le
droit de brigandage qu’il s’est arrogé.
Mais avant de poursuivre les expéditions des
Russes, je vais faire un tableau de l’état actuel
de la Circassie, de ses habitants, de leurs moeurs
et de leur politique.
Les races tcherkesses, c’est-à-dire les nations
du Caucase qui se touchent de près par les affinités
d’une langue commune, sont les Tcherkesses
proprement dits ou Adighes, les Kabar-
diens, les Abadzes et les Abkhases.
La langue que parlent ces quatre, grandes branches
a plus ou moins d’affinité ; on y retrouve
des racines et des formes communes : toutes se
rapprochent plus du finois que de tout autre
système de langue ; mais c’est surtout avec le
Vogoule et l’Ostiake de Sibérie que cette ressemblance
-est plus marquée.
Le kabardien ne diffère que fort peu du
tcherkesse propreinent dit ; il n’en est pas de
même des deux autres dialectes qui ont beaucoup
de ressemblance entre eux, mais qui diffèrent
considérablement des deux autres, et
même à un point que ce n’est qu’après une profonde
étude qu’on peut parvenir à se convaincre
qu’ils appartiennent à la même souche (1).
Nulle langue ne m’a paru plus difficile à prononcer
et à écrire que le tcherkesse. Rien n’est
variable comme les voyelles et les diphtongues
qui subissent une foule de modifications et d’accentuations
difficiles à saisir pour une oreille
européenne. Le son de la voyelle est tantôt
court, tantôt long ; il est dur, sec, dou t, grasseyé
; il est creux, aspiré, et chacuiie de ces modifications
peut changer le sens d’un mot. Je
trouverais dans cette forme de langage quelque
chose d’approchant avec ce qu’on m’a dit du
chinois. Aucun gosier européen ne peut rendre
le son de quelques lettres gutturales et palatales,
qui s’expriment par des inflexions et des claquements
tout particuliers.
( i) Voyez les vocabulaires de Guldenstàdt, de Klaproth
, de Taitbout de Marigny.