avec les étrangers , sous l’inspection d’un bâtiment
qu’on y enverrait ; ce serait établir des espèces
de foires annuelles, où l’Abkhase viendrait
commodément se défaire de ses produits.
Il n’y a pas de places de marché dans l’intérieur
du pays.
Quelle différence entre cette pauvre et malheureuse
Abkhasie de nos jours et cette guirlande
brillante de colonies grecques qui la bordait
autrefois.
Je visitai dans l’enclos du prince Michel-Bey,
a deux cents pas de sa maison, l’ancienne église
de Loukhin, assez bien conservée et bâtie absolument
dans le même plan que celle de Pitzounda,
mais beaucoup plus petite et plus simple ; le style
en est byzantin j on a choisi pour matériaux une
pierre de taille jaunâtre, calcaire, tirée des montagnes
voisines. Le dôme est octogone. L ’intérieur
est couvert de peintures.
L empereur a destine cette église à devenir
un monastère et le siège d’une colonie de prêtres
pour l’Abkhasie. Il a fixé une somme de
i 5oo roubles en argent (6,000 francs) pour servir
à l’entretien d’un arkhiérei (évêque) qui n’était
pas encore arrivé.
De Sououksou, nous allâmes à six verst de là
tout droit, sans repasser par Bambor, visiter la
scierie de la Khipsta. Le colonel avait eu la bonté
de prier M. K ., simple soldat au régiment d’Abkhasie,
de m’accompagner et de me servir d’interprète.
C’est en nous promenant dans ce délicieux
labyrinthe d’un paysage enchanteur, que j ’eus le
plaisir de faire plus ample connaissance avec cet
homme distingué et de pouvoir parler de la
Suisse et d’amis communs. Les adversités changent
bien les hommes et les corrigent quelquefois.
Ceifx qui ont connu M. K.. à S. Pétersbourg
seraient bien étonnés du changement qui s’est
opéré en lui. « Il y a profit à tout, me disait—il,
de petit-maître que j ’étais à S. Petersbourg, je
suis devenu philosophe. Pendant que je servais
dans les gardes , l’ambition seule me rongeait ;
je ne connaissais de la vie que la partie intrigante
, que les plaisirs, et que Cette suffisance,
cet orgueil qui sont particuliers à un corps privilégié.
Je ne connaissais de moi, de l’homme
en général, que l’épaulette et l’uniforme. Je m’égarais
dans un ciel vaporeux, dans un abîme
vague et sans fond, et à quelle bizarre idée m’a
entraîné cette vie sans principe, cette vie de
petit-maître et de courtisan ! . . . Car toute ma
science n’allait que jusqu’à savoir paraître avec
élégance, glisser avec adresse à travers les obstacles,
courtiser à propos pour faire mon chemin,
et à me moquer du reste du monde. Hélas !
que les temps sont changés! Tout à coup, d’homme
dont l’uniforme brillant faisait la valeur, j ’ai dû
n’avoir de valeur que par moi-même. Moi et