roches de l’Aja et de l’ilia, que le soleil du matin
éclairait de toute sa pompe magique. Je distinguais
si bien la maison de mes bons amis, leurs
jardins ; j aurais pu les suivre sur les chemins qui
serpentent sur la côte; j’étais comme Tantale.
L ’Aja, avec ses couches redressées de calcaire
gris, vu de la mer, se présente comme un mur gigantesque,
qui plonge brusquement dans les flots.
Tout près du rivage, les sondes donnent déjà 27
toises deprofondeur. Arrivés sous ce mur énorme,
le vent nous quitta tout à coup tant nous étions
bien abrités. Pour le ramener dans nos voiles,
nous cherchâmes à regagner le large ; mais nous
eûmes bien de la peine à avancer; nous restâmes
toute la journée du 16 et du 17 en face de cet
Aja et de cet Ilia, implorant Eole. Si le capitaine
se plaignait, je n’en avais pas sujet, tant le
paysage qui s’étendait devant nous était beau ;
-après avoir visité par terre chaque point de cette
côte, quelles délices de contempler tout cet ensemble
de la mer, et d’en embrasser d’un coup
d’oeil toutes les diversités, toutes les nuances,
tous les détails !
J’eus le loisir de dessiner ce panorama (1) . Il
comprend toute la côte de Crimée, de l’Aja au
Castel. Jusqu’au Tchatyrdagh, elle est couronnée
d’un énorme mur uniforme, semblable à l’Aja.
(1) Voyez Atlas, 2e se'rie, pl. 5g.
A peine remarque-t-on sur la cime de ce mur
quelques inégalités ; c’est une jaïla (1) perpétuelle.
Ce mur calcaire repose sur une base schisteuse;
quand il est éclairé par le soleil, on est
frappé de ces longues lignes perpendiculaires qui
le sillonnent et qui ont l’air de fentes énormes.
La base du rocher est ordinairement festonnée de
forêts, tandis que sa paroi perpendiculaire grisâtre
n’est que tachetée du peu de pins, de genévriers
et d arbousiers qui se sont hasardés dans
ses fissures.
Sur la base schisteuse rapidement terrassée,
s’accroît chaque jour le nombre des campagnes
charmantes dont les maisons et les tours blanches
ressortent à travers la verdure; les villages
tatares sont à peine visibles à cause de leur couleur
de terre et de la petitesse des maisons. Quelques
taches de neiges brillaient encore dans les
longues fentes au-dessus de Jalta et d’Oursouf.
Je passai trois jours dans l’enchantement de
ce passage, saluant tour à tour le promontoire
d lphigenie, les bocages de Laspi, Limène, Si—
méïs, aux beaux figuiers, Aloupka, cette superbe
ci cation du comte Woronzof, Ourcanda,' avec ses
jardins si pittoresques, Jalta, Oursouf, etc. Le
(1) Jaïla ou Eïla signifie, en latare, un plateau de
montagne couvert de pâturages.