voyait toute la population des alentours se précipiter
armée hors des villages, et courir vers le
point sur lequel se dirigeait l’expédition, prêts à
disputer chaudement aux Russes le passage et
la retraite.
A l’approche de la nuit, dès que les Russes
avaient fermé les portes de la forteresse, les
Tcherkesses se hasardaient jusqu’à une portée
de fusil du rempart ; ils auraient même pillé les
jardins, si l’on n’y eût placé des gardes pour les
défendre* Il n’était donc pas rare d’être reveillé
en sursaut par des vives fusillades au milieu de
la nuit. G’est ainsi que nous le fûmes le 3o mai,
vers minuit. Quelques Tcherkesses maraudaient
èt voulaient arracher les balles de plomb
qui se perdent dans les buttes de terre contre
lesquelles on exerce les fusiliers. L ’un entre autres
s’avança jusque dans les jardins pour y
prendre quelques ognons, et il fut tué sur la
place. Ses compagnons se sauvèrent* et les soldats
traînèrent le mort dans la forteresse. C’était
un tableau digne de pitié ; on reconnut un pauvre
garçon de dix-neuf à vingt ans, chez lequel
tout portait l’empreinte de la misère. Il n’avait
pour tout vetément qu’un tchok avec dés
péntalons déchirés de gros drap brun y sans aucun
linge quelconque. Nous apprîmes par la
(1) Redingote ou habit long tcherkesse.
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suite que c’était le fils unique d’une pauvre vieille
femme d’Aderbey, et qu’heureusement il n’était
pas marié. On ne trouva sur lui qu’une seule
charge de poudre, et la misère l’avait poussé,
ainsi que ses compagnons, à venir hasarder leur
vie pour tâcher de trouver de quoi charger leurs
fusils.
Le lendemain de cet événement, un parlementaire
tcherkesse vint annoncer l’arrivée de
deux des principaux habitans des alentours, qui
voulaient, suivant l’usage, traiter du rachat du
mort. On indiqua une place découverte à 5oo pas
de la forteresse ; on y établit un poste de quelques
soldats. Les deux Tcherkesses s’avancèrent
à cheval d’un côté ; le commandant de la forteresse
avec son interprête de l’autre, et là à une
distance respectueuse, les Tcherkesses descendirent
de cheval, s’assirent sur l’herbe, et l’on
commença à entrer en pourparler. Ils offrirent
plusieurs pièces de bétail, qu’on ne voulut pas
accepter : le commandant exigeait d’eux la reddition
de deux soldats déserteurs, porteurs de la
croix de S. Georges. Après de longues discussions
et mille objections, ils la promirent pour le lendemain
: mais le jour venu, on les vit arriver les
mains vides. Ils n’avaient pas voulu ni osé trahir
les droits de l’hospitalité, èt l’on fut obligé de se
contenter d’un cheval* Tout en avouant qu’il y
avait beaucoup de la faute du jeune Tcherkessé,