Ce pont a été projeté depuis long-temps, et les
gouverneurs du pays en ont proposé au gouvernement
la construction comme un objet de la
plus haute nécessité. Le gouvernement chargé
de tant d’autres dépenses, a adressé simplement
une autorisation aux habitants de Koutaïs de le
batii a leurs frais, puisqu’il leur était principalement
destine. Mais Koutaïs est trop pauvre pour
pouvoir supporter seul la charge d’une pareille
entreprise qui amènerait des frais considérables,
et la chose en est restée là.
Après avoir passé le pont qui a quatre-vingts
pas cíe long, nous avions traversé une partie du
bazar, puis la grande place, puis la rue du Jai’-
din de la Couronne, puis des casernes. Mon Cosaque
allait toujours devant moi, et je le suivais
très flegmadvement. « Mais, monsieur, me fait-il
a la fin, nous voilà à l’autre extrémité de la ville ;
ou allons-nous ? — Ne me mènes-tu pas à la station?—
Mais il y a long-temps que nous l’avons
passée; elle est de l’autre côté du fleuve, avant
de monter le chemin taillé dans le roc.— Nigaud,
que ne me le disais—tu!— Monsieur, jecroyais que
vous sauriez mieux que moi où vous deviez vous
arrêter.— N’y a t-ilpas d’auberge?— Oh! oui, monsieur,
» et ilme mène chez un Russe qui avait une
chambre... Elle était louée au fils du Dadian de
Mingrélie. — « N’y a-t-il pas d’autre refuge dans
toute la ville? — Oh! oui, » et il me mène au
bazar devant une sale boutique de cantimer. Il
crie, heurte à la porte, aux fenêtres... Personne
ne répond. L’hôte, nous dit un voisin, est à la
montagne.— « Enfin n’y a-t-il pas moyen de
se loger autre part dans toute cette fameuse capitale
de l’Iméreth ?— Non, pas que je sache.— En
ce cas, il nous faudra bien retourner à la station. »
Heureusement j’y arrivai assez à temps pour
m’y mettre à couvert de la pluie qui devenait
toujours plus violente. Le soir était là; la nuit se
faisait; il n’y eut pas d’autre ressource que d’accepter
un sale grabat recouvert d’un vieux feutre,
dans un taudis où cinq ou six Cosaques
dont la moitié était ivre, dormaient entassés.
Le vent me soufflait dessus et la pluie m’aspergeait
à travers une fenêtre à carreaux de papier
en lambeaux. Des estafettes arrivent avec des
dépêches, des ordres, des rapports, etc. L ’écrivain
grogne en se levant d’être obligé d’aller copier
ces adresses qui sont souvent du grimoire
pour lui. Pour surcroît de malheur, un transport
de jeunes Cosaques qui venaient du Don
pour faire leur temps de service, et qu’on avait
envoyé pour recompléter le poste de Maranne,
avait passé ce jour-là par Koutaïs. Ils apportaient
aux vieux des nouvelles de leurs familles,
de leur Stanitsa, les vieux les avaient fait boire,
les avaient fêtés. Après leur départ, on avait
passé le reste de la journée chez le doukani à se