ehirant leur sein rempli d’écume. Les flots, ce
sont les hommes; l’écume, c’est la gloire; le
vaisseau, c’est le temps qui brise, qui nivelle,
qui efface tout. Un peu plus d’écume par—ci, un
peu plus d’écume par-là : à peine a-t-il passé
que l’éternité engloutit tout.
J observai aussi la vie des marins russes. Les
équipages des vaisseaux sont composés de toutes
les nations. Celui du Narcisse, sur lequel je fis ma
première traversée, était forme de soixante—huit
hommes, dont une dixaine étaient des Tatares
de Kasan, qui se distinguaient à l’instant par
leur figure hunnique : l’un entre autres avec son
teint basane, son large nez retroussé, son visage
de pleine lune, ses cheveux plats, noirs comme
du jais, ses yeux noirs écartés, recouverts de
sourcils noirs des plus touffus, ses grosses lèvres,
bordant une large bouche, était un affreux portrait
d’un vrai hounne. Deux juifs, l’un calfa-
teur, 1 autre charpentier, et un Tchouvache se
trouvaient encore mêlés au reste de l’équipage
composé de Russes, venus des différents coins
de la Russie. On a soin en général, pour recruter
la flotte, de ne choisir que ceux qui habitent auprès
de la mer ou des grandes rivières et des
lacs, et qui se sont déjà familiarisés avec l’eau.
Sept a huit Polonais étaient venus ici trouver
un terme a leur gloire : l’un avait servi dans
1 infanterie de la garde polonaise, s’était trouvé
dans l’affaire de Dvernicki, et avait été fait
prisonnier. Un dragon polonais apprenait aussi à
manier la rame; les autres, la plupart Mazoures,
avaient eu des sorts semblables. Tous voyaient
la mer pour la première fois. Malgré qu’ils ne
sussent que fort peu de russe, ils eurent assez
vite appris les noms des voiles, des cordages, etc.
L ’équipage du Vestnik était composé à peu
près de même que celui du Narcisse.
J’ai eu l’occasion de me convaincre non seulement
sur ces deux vaisseaux, mais aussi par le
témoignage des officiers de la flotte que j ’ai
connus, combien en général les Slaves polonais
développent plus d’intelligence et de bonne volonté
que les autres nations qui servent sur la
flotte. Ils sont aimés de leurs chefs qui répètent
leur éloge et qui les préfèrent pour compléter
leurs équipages. Les officiers des troupes de terre
au-delà du Caucase leur rendent aussi le même témoignage
... mais il faut lés empêcher de déserter.
Sur toute la flotte le déjeuner des matelots est
du biscuit sec. A onze heures, le sergent (bas
officier) apporte dans une assiette au capitaine,
un échantillon de la soupe ou de la ration de
l’équipage ; je l’ai souvent goûtée et je l’ai trouvée
bonne et saine ; ce sont des gruaux de différentes
espèces, des pois, des lentilles, etc., cuits
tant qu’on peut le faire avec de la viande fraîche,
sinon avec de la viande salée ; de temps en temps