qu ils voudront (1). Mais il y a des exceptions partout,
et meme il peut y avoir du bon dans un
mauvais sujet. Le major et sa femme eurent le
plus grand soin de moi. J’employai les cinq
jours que je passai chez eux à prendre quelques
informations sur le pays, à visiter les alentours,
a me faire à mon isolement.
J’avais été pendant six semaines Sôus l’égide
du bon capitaine Voulf qui m’avait traité en
frere. Je m’etais fait a cette vie des marins, à cet
espace rétréci de jouissances; je m’étais initié
dans leurs moeurs, dans leurs entreprises : la société
du capitaine et de ses officiers était devenue
mon délassement, mon plaisir, mon conseil,
après mes occupations. Nous étions gais , pous
chantions; pendant nos stations à Soukoum-
Kalé, presque chaque jour les commandants dés
vaisseaux se donnaient de petites fêtes; on dînait,
on soupait ensemble et l’on oubliait le
monde entier. Chacun me témoignait de l’amitié
et tout à coup me voilà débarqué, abandonné
tout seul, dans un pays presque inconnu,
livré à moi-même et à mes propres forces, ex(
1) Je ne citerai que le fameux Ragotsi, que la justice a
cependant atteint jusque dans son l’epaire; quand j ’ai
passé à Redoute-Kalé, l’exécration pesait encore sur son
nom.
posé à des dangers de toutes espèces. 11 faut plus
que de la philosophie pour se faire à de pareilles
alternatives. Les premières nouvelles
dont on me salue sont celles de l’insalubril é du
climat qui commence. A cinquante pas de la
maison que j ’occupe, mes yeux n’ont pour perspective
que ce long hôpital ou i 5o malades du
régiment cantonné à Redoute-Kalé, à Poti,
commençaient la terrible série des fievres chau -
des, bilieuses et typhoïdes, si meurtrières sous
ces climats.
On a établi le cimetière dans un bois qui borde
la mer du côté de Poti, qui est à douze verst de
Redoute-Kalé. Le chemin serpente d’abord à
travers les tombes, dont on est effrayé de voir
le nombre relativement à la population du fort
et de la Quarantaine. Cependant rien n’est plus
joli que ce chemin. Déjà Strabon (1) était enthousiasmé
de la magnificence de l’embouchure
des fleuves de la Colchide et de ses rivages si
fortunés par. l’abondance des fruits qui y croissaient
pêle-mêle avec les plus beaux bois de
construction. La forêt n’est qu’un mélange touffu
de néfliers à gros fruits, de pruniers de plusiers
espèces , dont les prunes rouges et jaimes jonchaient
le chemin ; de poiriers, de hêtres, d’érables
champêtres, d’ormes. La clématite, la vigne,