d’oeil pouvoir frapper de la foudre, mobiliser ses
forces; avec moins de monde on fait cent fois plus
d’effet, et bien certainement on coupera par la
racine l’humeur traîtresse des princes d’Ab-
khasie, qui ne se sentent forts que parce qu’ils
ont le Caucase pour repaire, et pour amis les
montagnards et les Tcherkesses qu’ils peuvent
appeler à chaque instant.
En adoptant ce projet, la Russie ne ferait pas
de grands sacrifices de troupes ; car une bonne
partie de la ligne serait supprimée et pourrait
servir à des colonies dans un beau pays quoiqu’assez
élevé.
J’ai dit que le prince Ali-Bey, trop faible pour
résister aux Tsébeldiens qu’il ne pouvait arrêter
à l’entrée du défilé de la Kodor, s’était retiré
sur les bords de la Tamouiche, le troisième des
ruisseaux qui arrosent la plaine après l’Iscouriah,
avant d’arriver à la Markoula, rivière qui, comme
la Kodor, vient des hautes vallées neigeuses.
Ali-Bey s’est bâti une petite maison en bois à
l’embouchure même de la Tamouiche. (Voyez
2e série, pl. 5.) De superbes arbres la recouvrent
d’arceaux de verdure. Cependant son habitation
ordinaire est au village de Tamouiche, qui est à 4
ou 5 verst du bord de la mer. C’est là qu’il reçut
le général Vakoulski à son passage de Mingrélie
à Soukoum, et qu’il le traita en grand seigneur
d’Abkhasie, qui connaît le respect dû à ses hôtes.
Sa maison n’était pas meilleure que celle de ses
sujets; son palais était une sacle en clayonnage,
enduite de torchis, et entouree d un enclos
qui n’avait pas même de porte.
Mais bientôt un boeuf gras tombe sous
le couteau d’un robuste Abkhase; dépecé en
énormes quartiers, bouillis ou rôtis, on choisit
avec soin la plus grosse pièce que l’on dépose
devant le général ; on en pose de moins considérables
devant les gens de sa suite. 11 n y a pas
de Milon le Crotoniate pour avaler des quartiers
pareils. Mais le général et les personnes à
qui on en fait honneur connaissent bien les usages
du pays ; tout en mangeant, ils détachent des
tranches appétissantes qu’ils lancent aux person-^
nés d’un rang inférieur de la suite, qui sont rest
é e s debout en expectative, et qui entourent respectueusement
la table en attendant leur tour. En
jetant, chacun appelle celui qu’il veut favoriser;
celui-ci faisant une profonde révérence, reçoit
avec adresse le morceau qui lui est destine, et ce
serait un crime de lèze bon ton, une grande
offense que de laisser tomber le morceau par
terre.... Ces énormes quartiers d’honneur se
servaient chez Ali-Bey sur des grandes claies d’osier,
munies de deux bois pour les porter.
Plus le respect qu’on veut témoigner est
grand, et plus est grande la pièce de bétail qu’on
immole. Encore ici je ne puis m’empêcher de