rent à la charge ; mais le danger était passé et
nous rentrâmes chez nous sans avoir perdu un
seul homme.
Nous fûmes aussi heureux le 14 juin. Nous
allâmes faucher les champs des bergeries de Mé-
zippé ; on nous disputa encore plus chaudement
que la première fois notre retour ; mais notre
contenance commençait à rebuter les Tcher-
kesses, quand je passai à l’avant-garde avec un
officier pour prendre les devants ; déjà nous nous
comptions hors de tout danger, lorsqu’une balle
qui m’était destinée vint à passer sur ma tête ;
quelques pouces plus bas, elle me rayait du
nombre des vivants, et j ’aurais payé cher ma
curiosité.
Le Tcherkesse, comme tous les montagnards,
est très brave et passe pour très adroit à tirer ;
malgré cela, il est toujours en désavantage en
luttant avec les Russes.
Le Tcherkesse charge son fusil en chassant les
balles avec un marteau, et atteint par conséquent
de très loin; mais pendant qu’il charge une fois,
le Russe charge cinq fois avec une balle coupée
en quatre.
Pour tirer juste, le Tcherkesse appuie son
fusil sur une fourchette qu’il porte toujours à la
main en guise de bâton ; il faut qu’il soit à son
aise, tandis que le soldat russe ne perd pas ainsi
son temps, et est habitué à tirer à bras franc.
Le Tcherkesse ne tire que quand il est bien
sûr de son coup, parce qu’il craint de brûler
inutilement sa poudre qu’il ne peut remplacer
que très difficilement depuis qu’on lui a coupé
toutes les ressources du côté de la Turquie.
Même suivant le rapport du pionnier juif et du
vieux Russe dont j ’ai parlé plus haut > à peine
avaient-ils une charge de poudre sur dix hommes.
Le Russe au contraire ne ménage pas ses
munitions, et hasarde ses coups, qui portent
souvent.
Le Tcherkesse qui a tiré est pour le moment
un homme perdu, on peut l’aborder sans danger
pendant qu’il charge ; il ne peut plus se défendre
qu’avec son sabre et son kindjal. Le soldat
russe a à peine tiré qu’il a déjà rechargé, et demeure
toujours redoutable.
A ces points de comparaison, ajoutez que le
soldat russe joint à la discipline la ruse du
Tcherkesse, qu il court comme lui dans les espaces
ouverts, se couche et guette derrière les
buissons, se glisse et se cache derrière les arbres
dans les bois ; qu’il a sa mobilité et son oeil
exercé, et il sera facile déjuger de quel côté doit
pencher la balance.
Nos soldats de Ghélindjik s’étaient si bien faits
à cette guerre des Tcherkesses, qu’ils ne les craignaient
plus du tout, et qu’une expédition était
pour eux sous ce rapport une partie de plaisir.