avaient transporté un tonneau de vin dans une
des galères et enlevé trente roubles en argent
au skyper (1), quand leur joie fut troublée par
un bout de notre voile qui se montrait par-dessus
la pointe du cap. Ils savaient bien à qui on
en voulait; car se jeter dans leurs galères, faire
force de rames et . . . disparaître fut l’affaire
d un clin d oeil. Il n y avait pas une heure qu’ils
avaient voulu mettre ce petit vaisseau au pillage,,
et déjà il ne restait plus la moindre trace de
leur apparition ; ils avaient disparu dans les em—
. bouchures de la Kodor, masquées par des bois
magnifiques, dans lesquels, suivant leur usage,,
ils avaient tiré leur galère après eux.
Et qui étaient ces pirates , ces brigands, qui
au nombre de cent vingt environ, montaient ces
deux galeres ?. . . C’étaient trois princes des environs
de Sououksou, amis de Michel-Bey, avec
des Abkhases de Bambor, que le skyper, Abkhase
lui-même, avait reconnus en grande partie.
Ceci suffit pour donner une idée de la civilisation
des Abkhases, et de la confiance que le gouvernement
russe peut avoir en Michel-Bey qui bien
certainement était de connivence avec eux, et
voulait ainsi effrayer un peu son cher oncle
Hassan-Bey.
( i) Nom que l’on donne au capitaine de ces petits vaisseaux
turcs.
Nous croisâmes pendant trois jours en face de
■cette côte superbe ; nous visitâmes le cap Iskou-
riah et l’embouchure de l’Iskouriah; nous descendîmes
jusqu’à celle de la Tamouiche, et toujours
sans rie;ndécouvrir. Car, pour le dire en
passant, des vaisseaux tels que le nôtre n’étaient
rien moins faits que pour ces recherches; ils ne
peuvent pas approcher de terre, ni entrer dans
les rivières. Le gouvernement russe a le projet
d’entretenir à Soukoum quelques galères dans
le genre de celles des Abkhases, de les armer de
quelques petits canons ; cela vaudra infiniment
mieux, et l’on pourra poursuivre l’ennemi jusque
dans son repaire.
La matinée du 29 juin fut une matinée rare,
et telle que les marins assurent en avoir fort
peu vu. Levé long-temps avant le soleil, j ’étais
en contemplation d’un des plus magnifiques tableaux
qu’on puisse admirer sur la terre. Placé
à deux verst de l’extrémité du cap Kodor, d’un
coup d’oeil j’embrassais tout l’ensemble de la
chaîne occidentale du Caucase, depuis loin derrière
Gagra jusqu’aux plaines de la Mingrélie.
Pas un nuage. Sur le ciel le plus pur se dessinaient
comme le bord d’une frange, des milliers
de pointes, de pics, de dômes, de tables de
toutes formes, de toutes déchirures, rangés sur
plusieurs rangs, entassés les uns sur les autres.
Pendant que j ’éfàis en admiration devant ce su