du pays (1); car son ambition, pour laquelle il
négüge tout, est de rôder d’embuscade en embuscade
, de voler le bien du Russe et de l’enlever
lui-même s’il le peut.
Car un des commerces principaux des Ab—
kbases consistait jadis en esclaves, et ils n’ont
pas encore pu, sous la suzeraineté de la Russie,
perdre cette mauvaise habitude. Mais l’Abkhase
comme le Tcherkesse, ne vend pas son compatriote;
il craint la loi des représailles. Le dernier,
le plus pauvre des paysans, en userait sur son
propre prince et sur Michel-Bey lui-même, si
l’un ou l’autre avait osé vendre l’un de ses
proches.
Pour avoir jadis des esclaves à vendre, on s’y
prenait d’avance. Quand on faisait des prisonniers,
soit en courant dans les mers, ou dans les
guerres contre les voisins, ou en maraudant
en Iméreth, en Circassie, on se hâtait de marier
ceux qui promettaient le plus; mais dès qu’il
leur naissait des enfants, on les leur faisait enlever,
et on les faisait élever autre part jusqu’au
( i ) Le portrait que fait Chardin des Abkhases, n’est
pas plus flatté. Les Abcas, dit-il, ne sont pas tout-à-fait
aussi sauvages que les Cherkes, mais ils ont le même naturel
pour le larcin et le brigandage : leur commerce
d’échange consiste en créatures humaines, en fourrures,
en peaux de daim et de tigre, en lin filé, en buis, en cire
et en miel. I, folio 70.
temps où l’on peut les vendre avec profit. Ces
pauvres prisonniers étaient de vrais fabriquants
d’enfants.
Cette coutume barbare ressemble beaucoup à
celle des Tcherkesses, et les Russes n’ont pu
l’abolir entièrement ; ca r, malgré leur surveillance
, il se fait toujours un commerce secret
d ’esclaves, dont le principal fonds consiste cependant
en soldats russes enlevés, que les Turcs
achètent sur place aux Abkhases, pour les revendre
à Trébizonde ou dans d’autres ports de
l’Asie mineure.
Ce commerce affreux cesserait entièrement
si Michel-Bey et Hassan-Bey n’en étaient pas
eux-mêmes les principaux fauteurs ; ils tolèrent
ces enlèvements de soldats et en font leur profit.
Certainement personne ne sait mieux ce qui se
passe chez lui que Hassan-Bey ; il n’y a pas,
dit-on, de Fouché plus habile. Dès qu’il apprend
qu’un Abkhase a commis un enlèvement, il fait
venir l’individu coupable du vol, et le menace
de le rendre aux Russes (ce qui les effraie beaucoup)
s’il ne lui donne des vaches, un cheval,
etc. Après qu’il a acquitté le tribut, il lui permet
de’ vendre” son homme et le protège de toutes
maniérés. Les Russes ont beau envoyer chez lui
demander justice, et exiger le coupable, il fait
mille et mille semblants qui n’aboutissent à rien.
Michel-Bey ne fait pas mieux que son oncle.