que d’autres arbres l’abritaient de leur feuillage
contre, le soleil brûlant de Gagra.
En obtenant la suzeraineté de TAbkhasie, la
Russie ne pouvait se dispenser de garder ce
défilé de Gagra. On y transporta un bataillon du
régiment d’Abkhasie avec neuf pièces de canon :
c’était l’envoyer dans le plus terrible des exils.
Qu’on se représente tout un bataillon resserré
dans ce petit espace de quelques cents pas, sur
une plage brûlante, sans oser s’y mouvoir; les
soldats ne peuvent sortir du fort sans courir le
danger d’être pris ou tués, et même les rochers
boisés dominent tellement le fort, qu’on n’est pas
en sûreté au dedans de ses murailles. Les Tcher-
kesses, cachés par le feuillage et perchés sur les
assisses du roc, peuvent tirer d’en haut jusque
dans les rues et dans les maisons; des soldats
ont été tués ou blessés, et les officiers à table ont
vu tranquillement les balles leur arriver par les
fenêtres.
Les Tcherkesses n’ont rien négligé pour chasser
les Russes de cette position qui leur intercepte
toutes les communications avec l’Abkhasie;
ils les ont long-temps inquiétés et se sont résolus
enfin à en faire le siège dans les formes, et
à l’emporter d’assaut. Plusieurs milliers d’entre
eux bien armés tombèrent tout à coup sur Gagra;
et le bataillon n’eut que le temps de se mettre
en défense contre les ennemis qui voulaient escalader
les murailles. On tira sur eux à bout
portant à coup de canon, et les soldats se défendirent
si bravement malgré l’infériorité du nombre,
que les Tcherkesses furent forcés de se
retirer avec une grande perte de monde. Depuis
ce temps-là leur ardeur s’est rafraîchie, et ils
se contentent d’inquiéter Gagra, cachés sur
les hauteurs.
Mais un.ennemi dont on peut déjouer les ruses,
un danger dont on connaît les chances n’est
cent fois pas aussi terrible que cet air empesté
qui sourdement vous tue, que ces maladies qui
vous, minent, que ces privations de tous genres
qui vous rongent. Ghéündjik est un Eden en
comparaison de Gagra.
La chaleur en été y est étouffante, aucun
courant d’air ; les rayons du soleil, réverbérés
par ces hautes parois en partie nues ; une plage
de sable brûlant dans lequel, en ne faisant
qu’enfoncer mon thermomètre, le vif-argent
sautait tout à coup à 35"; une promenade de
quarante pas entre la porte du fort et la vague
qui bat le rivage ; aucune communication avec un
lieu vivant du reste de l’univers ; des murailles
et des maisons pressées où se concentrent la chaleur
et le mauvais air : tel est le Gagra que j’ai vu.
t Cette position aurait été encore tant soit peu
supportable si on avait toujours de l’eau pour
se rafraîchir.