parti dé eette prétendue existence dés rennes dans la France méridionale
| pour expliquer certains bois fossiles, qu’au surplus elle
»’expliquèrent même pas quand elle auroit été réelle.
déjà que ce n’étoit pas dans ses États ni au pied des Pyrénées. Pour arriver à un résultat
plus positif il ne me sembloit rester qu’à étudier son histoire et à rechercher dans quels
pays il pouvoit être ailé.
J’aurois encore été conduit bien loin du but par l’historien du Béarn , Oïhagaray, qui
dit (Hist. de Foix, Béarn et Navarre, Paris 1609, in - 4° ., p. 278) que Gaston s’empart
de F o ix contre les Sarrasins, si cet ignorant écrivain n’eût ajouté de suite : prié dit
V original par le M a is tr e de P rucia , n’ayant à peine quinze ans accomplis ; mais ces mots
le M a is tr e d e Prücia m’auroient remis sur la voie, quand meme je n’aurois pas appris
d'ailleurs que Gaston étoit allé en Prusse.
En effet, Froissard (liv. I , cap. C L X X X IY ) rapporte que ce fut en revenant de Prusse
en i 358, que lé comte de Foix et le captai de Buc'h ( Jean de Grailly ) son cousin, ayant
appris que des princesses et beaucoup de dames se trouvoient à Meaux, fort menacées par
ces troupes de paysans révoltés que l’on nommoit Jacqueries, se rendirent dans cette ville
pour y défendre ices dames , et y battirent les Jacques.
O r , Froissard connoissoit particulièrement le comte de Foix , et comme il le dit lui-même
( liv . III, cap. I ) , il s’étoit rendu et avait .séjourné assez long-temps à Orthès, dans le
château de ce prince, pour apprendre de sa propre bouche l’histoire-de son temps; ainsi
l’on ne peut mettre en doute ce qu’il rapporte de relatif à sa personne. .
Il est certain d’ailleurs qu’il étoit alors d’usage dans la chrétienté que les chevaliers qui
vouloient exercer leur courage, allassent en Prussè pour aider les chevaliers teutoni-
ques à combattre les payens de Lithuanie. On en voit dans Froissard même (lib. I I I ,
c. X X V I ) un autre exemple.. Cet historien parle d’un chevalier portugais qu’il vit à
Middelbourg en Zélande, se rendant aussi en Prusse avec plusieurs’punies gentilshommes,
de ses compatriotes., et qu’il consulta sur les événemens du Portugal.
Enfin il est constant qu’à cette époque les chevaliers teutoniques étant tombés dans un
plus grand danger , par les victoires du chef lithuanien Olgerd, leur grand-maître Wenric
de Kniprode se vit contraint, en i 356, de faire un appel dans l’Europe occidentale, et
que beaucoup de jeunes chevaliers volèrent à leur secours, d’autant que l’armistice auquel
le roi Jean, prisonnier, cette année-là même, à Poitiers , avoit été obligé de consentir
lâissoit leurs bras sans emploi. Voici comme s’exprime à ce sujet l’historien de Lithuanie ,
le jésuite Albert Viluk-Koialowitz ( Hist. Lifch. , part. I , Dantz., in-4° . , i65o , p. 322 ) :
« Oigerdus exeunte proximi anni (T 356) januario, ingenti exercitu hostilem provinciarri
» ingressm, in divers a simuî l'&ea partitus hgiones totamfere Prussiam simul ccedibus et
» flammis involvit, magistro et crucigeris in 'aciem prodire nonaudentibus. Fama cfus
» cladis Europam ac proecipite Germanium pervagata, magnas in chrisiianorum animis
» motus concitavit. E x Anglia, G allia, Moravia, Bohemia , Franconia, Suevia, atqve■
» adeo tota Germania, magnà numéro juventus sponte nomina dore, v ix expectore ducum
» evocationem» etc.
Ainsi il étoit déjà certain pour moi que Gaston avoit été en Prusse et en Lithuanie, et je
pouvais croire qu’il y avait vu des rennes ou qu’ il en avoit entendu, parler à ceux qui en
Le renne (cernes tarandus, L . , rangifer et rangier des auteurs
du moyen âge, caribou des Français du Canada) se distingue
déjà de la plupart des cerfs, par des proportions moins légères ; une
avoient vu. Il paroissoit naturel qu’un homme aussi passionné pour la chasse qu’il le fut
toujours, qui, au rapport de son commensal Froissard (lih. IV, c. X X V I I ) , entretenoit
seize cents chiens, et mourut subitement pour .s’etre fatigue à la chasse d un ours, il etoit
naturel, dis-je , qdïïf s’informât, partout nii il allait, des animaux propres au pays , et
puisque du temps de César il se trouvoit desieunes dans la fprêt d’Hercynié , il u’y avoit
pas d’impossibilité à ce que du temps du roi Jean il y en eût encore dans lies bois de la
Lithiianie.
Cependant je doutois encore de ce dernïèr point, parce que Àlbert-le-Grand, mort en
1280, plus dé cent ans avant Gaston , repousse déjà le renneinpartibtis aquilonis versus
polum arcticumet etiaminpartibus Norwegioe et S.uevice (*). D’ailleurs tout cela ne m’ex-
pliquoit pas ce que c’.étoïtque cette Morienne et cette Pueudeve, où Gaston disoit avoir vu
des rennes. Pour me satisfaire entièrement je résolus de recourir aux manuscrits.
L a bibliothèque du roi en possède un de la plus grande beauté, en parchemin, petit
in-folio , d’une écriture du quatorzième siècle , avec de fort belles figures en n oir, et q u i,
d’après l’inscription, est celui-là même que Gaston envoya en présent à messire Philippe
de France, duc de Bourgoigne, c’est-à-dire à Pliilippe-le-'Hàrdi, premier duc de Bourgogne
de là seconde maison , et quatrième fils du roi Jean, ne en i 34'i , mort en i4o4 * Dès
l’ouverture du livre je fus frappé d’une figure de renne fort reeonnoissable , qui s’y trouve
en tête de l’article du rangier:. Mais quelles ne furent pas ma surprise et ma satisfaction
lorsque j’y lus le passage, inintelligible dans les imprimés, parfaitement écrit comme il suit,
au feuillet V I I I , recto :
J ’en qy veu en Nourvegue et Xuedene et en ha oûltre mer, mes en
Romain pxy.s en ay je peu vus.
Assurément voilà qui décide tout. Gaston III, comte de Foix et seigneur de Béarn (**),
qui s’étoit lui-même surnommé Phèbus, avoit fait en i357 et i 358 un voyage en Prusse ;
de là il -avoit eu la curiosité de traverser la mer Baltique e t de parcourir la Scandinavie, et
lés rennes ou rangiers qu’il avoit vus et chassés, il les avoit vus et chassés dans les pays où
il y en avoit du temps d’Albert, où il y en a encore , c’est-à-dire en Norvège et en Suède.
Ces animaux n’ont point vécu dans les Pyrénées , é t le plus près qû’ils soient approchés de
nous (dans les temps historiques, c’ est la forêt Hercynienne, 'laquelle, telle que César la
décrit (de Bell. G a ll., lib. V I ) , s’étendoit si loin,vers le nord et vers l’orient qu’aucun
Germain n’en connoissoit les limites de ce côté , quoiqu’on y eût pénétré à plus de soixante
journées de chemin ; ce qui veut dire que dès-lors .les rennes pouvoient bien être confinés
vers le mord de la Russie.
On voit par là à quels systèmes, à quelles conclusions erronées ont pu conduire la corruption
de deux seuls mots d’un texte, et la négligence des auteurs à remonter aux sources.
<(*) Alberti opéra, cdit. Lugd. , t. V I, p. 6o5.
(**) Les imprimes sont si fautifs qu’au lieu de Béarn ( écrit dans le manuscrit Béaurn) ils mettent JBeauru,
et que dans Dufouilloox, Gaston P/iébns est intitulé simplement seigneur du ru.