
Chiraz, dont le revenu est estimé à 12,000 tomans (le
toman vaut 12 fr.) parle gouvernement persan, mais
qui n’en rapporte guère moins de 20,000; Kouhendel-
Khan, d’ailleurs, mettant là en pratique ce système de
compression qui le fait détester dans le • Kandahar,
en avait porté le revenu à près de 30,000. J’aurais
donc pu, avec raison, paraître étonné du mécontentement
peu justifié du Serdar, si je n’avais su depuis
longtemps que la reconnaissance est le sentiment
le plus étranger aux musulmans; car ils ne voient
jamais que le doigt de Dieu dans le bien qui leur
arrive, celui dont ils reçoivent le bienfait n’est à leurs
yeux qu’un instrument de la Providence, et comme
tel ils cessent de lui porter le moindre intérêt dès
qu’ils n’ont plus rien à espérer de lui. Cependant je ne
crus pas devoir prendre parti pour les gouvernements
que le Serdar maltraitait de la sorte ; je me contentai
de lui répondre que les faits dont il se plaignait
étaient parvenus à la connaissance des autres États
européens, qui blâmaient les envahissements successifs
des Russes et des Anglais, sans pouvoir les empêcher.
Après cela, la conversation changea et roula
sur une foule de sujets. Le Serdar s’intéressa vivement
aux détails que je lui donnai sur les divers
États de l’Europe, sur leur richesse et leur force respectives.
Il avait beaucoup entendu parler de la
France et il en causa longtemps avec moi, me faisant
surtout répéter tout ce qui concernait son commerce,
son industrie, et particulièrement les inventions nouvelles
mues par la vapeur ; les Asiatiques ne doutent de
rien, ils se figurent qu’en une heure on peut les
mettre au courant des arts et des sciences les plus
compliqués, qu’il nous a fallu des siècles pour amener
à l’état de perfection où ils sont aujourd hui;
aussi le Serdar parut-il très-étonné qu’en quelques
instants je ne pusse pas le mettre au courant de la
science de l ’économie politique et des moyens qu’ont
employés les États d’Occident pour amener les populations
à obéir à la loi et à la faire prédominer
sur la force brutale.
« J’ai confisqué les biens, j ’ai bâtonné, torturé et
« coupé des têtes, me dit-il, et-cependant je n a i ja-
« mais pu amener mes sauvages Afghans à obéir
« à mes ordonnances, et il n’y a pas un Serdar
« dans ma principauté, sans en excepter mes frères,
« mes fils et mes neveux, qui ne saisît avec joie
« l’occasion de me dépouiller du souverain pouvoir
« s’ils se savaient quelque chance de réussir. Ici la
« force est tout, le droit n’est rien ; pourquoi en est-
« il autrement en Europe ?
«—Il en est autrement, lui dis-je, parce que les gou-
« vernements savent chez nous sacrifier leur intérêt
« personnel à celui des populations, chose que vous
« ne faites pas ici ; tous leurs actes sont subordonnés
« à la loi, tandis que les vôtres n’ont que votre bon
« plaisir pour guide.
« — Mais, ajouta-t-il, à quoi bon la puissance, si elle
« ne sert à s’enrichir? Qu’est-ce qu’un gouvernement
«sans pouvoir absolu? Qu’est-ce qu’un roi ne pou-
« vant à son. gré bâtonner son sujet ou lui couper
« la tête? C’est le monde renversé, c’est la chose la
« ¡dus abominable qui se puisse voir , ce doit être