
d’un bond et tout essoufflé dans mon réduit, puis
après m’avoir regardé quelques instants d’un air ironique
et courroucé, il me dit : « Si je ne craignais pas
le Serdar, je t’aurais déjà coupé le col. » Malgré la
prudence dont je m’étais fait une règle, je ne pus réprimer
le premier mouvement de colère qu’excita en
moi cette insolence e t, sautant à la gorge de ce
coquin, je le terrassai et lui administrai une solide
correction. Je le jetai ensuite hors de ma chambre,
et, tandis qu’il roulait au bas de l’escalier, j ’en
fermai la porte et la barricadai avec deux mâts de
tente qui se trouvaient sous ma main. Aux cris poussés
par notre homme, les Sipahis amvèrent à son aide
et enfoncèrent la porte; je fus aussitôt saisi par cinq
ou six coquins, battu, meurtri et tout en sang. Je ne
sais vraiment pas ce qui me serait advenu sans l’arrivée
de Rahim-del-Khan et du Mounchi, bientôt suivie
de celle du Serdar. Ce dernier, tout en m’accablant
d’injures, fit pourtant bâtonner les deux scélérats
qui m’avaient plus particulièrement frappé et reprocha
sévèrement à Rahim-del-Khan et au Mounchi de
m’avoir quitté un instant. Il leur ordonna de rester
dans une chambre contiguë à celle que j ’occupais, et
je fus mis sous clef. Un Sipahi reçut l’ordre de se tenir
constamment assis devant ma porte. Soit oubli,
soit pour me punir de mon emportement, ces coquins
me laissèrent vingt-quatre heures sans me
donner à manger.
Je restai enfermé et au secret pendant huit jours,
ne voyant que le Mounchi, qui m’apportait chaque
matin quelques onces de pain et un peu de lait aigre.
Ma prison était située sous les combles, dans la plus
haute tour de la forteresse et ouverte, comme la scène
d’un théâtre, sur la campagne, car le mur extérieur
s’était écroulé juste à la hauteur où il fermait ma
chambre. Cette cellule était élevée de vingt mètres
au-dessus du fossé, et un Sipahi se tenait jour et nuit
au pied de la tour pour m’empêchër de m’échapper
s’il me prenait fantaisie de tenter le saut. J’en eus
en effet plusieurs fois la pensée pour me soustraire
aux maux que j ’endurais dans ce grenier. Un soleil
lourd et brûlant y pénétrait et me suffoquait; des
mouches, des moustiques et des myriades de frelons
venaient s’y abriter et m’y faisaient une guerre incessante
; mais mon plus grand supplice était d’être
obligé de me tenir toujours dans l’encoignure de la
chambre plus particulièrement affectionnée de ces
insectes, car, dès que je me montrais aux passants,
ils m’adressaient des injures. Un petit nombre d’entre
eux, plus humains, m’avaient fait entendre, il est vrai,
quelques propos consolants pendant les premiers
jours, mais on les avait tellement rudoyés ou battus
que je n’entendis plus par la suite que des propos insultants.
lim e fallut renoncer ainsi au seul plaisir
que j ’eusse la faculté de me procurer, celui de voir la
campagne et de suivre de l’oeil les sinuosités de l’Hir-
mend, roulant ses belles eaux à travers une riante
plaine semée de plantations, de cultures et de prairies.
Malgré tout cela, j ’aimais à me bercer de fictions,
grâce auxquelles j ’éprouvais un certain charme ; je
me voyais libre ou bien je me retrouvais en France,
au milieu de mes amis et avec ma famille. Mais les