
tièrement, ils se transportèrent sur la place publique.
Une fois là, ils haranguèrent la multitude de manière
à redoubler son fanatisme et l’excitèrent à venger
sur moi l’injure qui venait de leur être faite par
le Serdar. Un délégué de Kouliendel-Khan parla
après eux et soutint à son to u r, contrairement à
leur thèse, que les droits de l’hospitalité envers
moi étaient sacrés. Il allégua que je n’étais pas
venu chez eux en ennemi ou en espion, mais ouvertement,
en me plaçant sous la garantie de leur loyauté.
Les Mollahs répondirent qu’envers un infidèle on pouvait
forfaire à toutes les lois et aux usages reçus. Les
masses se prononcèrent dans ce sens et se portèrent
vers ma prison pour m’exterminer; mais une vive
fusillade les ayant accueillies à leur arrivée, elles se
mirent à fuir en criant: Aux armes! Les Mollahs, dont
un avait été blessé, retournèrent sur la place et firent
hisser au haut d’un mât qui s’y trouvait un Koran
que chacun saluait en passant comme jadis, en Suisse,
on saluait le chapeau de Gesslcr. La foule prêta
serment, sur ce livre vénéré, de ne boire, de ne
manger et de n’aller au bain qu’après m’avoir haché
en morceaux et fait avaler mon cadavre aux chiens
affamés des bazars. La démonstration du matin
contre moi avait eu lieu à onze heures environ; à
cinq heures du soir, l’attaque armée recommença par
une fusillade assez décousue, partant des remparts,
où les dhieuliers avaient pris position; mais se trouvant
à une trop longue portée, ils s’avancèrent dans
les maisons de mon voisinage. Celle que j ’habitais les
dominant à peu près toutes par son élévation , nous
eûmes sur les assaillants un très-grand avantage.
J’eus quelques instants la crainte de voir les Sipahis
passer aux émeutiers, mais je fus bientôt rassuré
à cet égard; ceux qui m’avaient antérieurement
le plus maltraité se montrèrent aussi zélés dans la
défense que les nouveaux venus. C’étaient des hommes
dévoués à Kouhendel-Khan, l’ayant à peu près
tous suivi dans son exil en Perse de 4839 à 4841,
et leur haine contre moi disparaissait devant l’ordre >
positif qu’il leur avait donné de me défendre. En présence
de ces bonnes dispositions, je secouai la torpeur
du prisonnier et redevins l’homme d’action. Comme
les Afghans ont une haute opinion de ia capacité des
officiers européens, ils acceptèrent mes conseils avec
une abnégation d’amour-propre que j ’étais loin de
soupçonner en eux. Profitant de cette bonne volonté,
je distribuai notre petite troupe sur la terrasse, dans
les endroits qui me parurent les plus convenables
pour défendre les points susceptibles d’être envahis.
Je formai aussi deux pelotons de réserve qui stationnèrent
dans les cours, pour défendre les portes d’entrée.
Nous soutînmes pendant sept heures un siège
en règle. Trois hommes furent blessés de notre côté,
et il nous fut impossible de déterminer la perte de
nos adversaires. Après quatorze heures de calme, les
hostilités recommencèrent. Les émeutiers avaient employé
ce temps à parlementer avec Kouhendel-Khan,
enfermé d^ns la citadelle, où il était à l’abri de tout
danger; mais le Serdar avait rejete toutes leurs demandes
et tâché de leur donner le change par des
promesses dont ils ne se contentèrent point.