
c'est ainsi que les nouvelles se propagent dans toute
l’Asie, souvent aussi promptement que si elles y
étaient répandues par les journaux. L’étiquette et les
cérémonies leur sont inconnues ; ils s’abordent sans se
connaître, comme de vieilles connaissances : s’ils sont
pressés, la conversation ne languit point, ils échangent
leurs nouvelles en une minute et se quittent.
Mais, s’ils ont du temps à perdre, ils descendent de
cheval, vont s’asseoir à l’ombre d’un arbre ou sur le
bord de l’eau, s’il y en a le long de la route, et font
une pose de dix à douze minutes en se regardant d’abord
sans dire un seul mot. Le silence est ensuite
rompu pour se saluer réciproquement, et ce salut est
répété au moins vingt fois de part et d’autre ; ilè passent
ensuite aux nouvelles de leur intérieur, chacune
répétée autant de fois que le satut. En première ligne,
la santé du cheval, de la jument, du poulain; puis on
cause des troupeaux, des récoltes, des enfants, des,
parents, et en dernier ressort des nouvelles politiques.
Celui qui a porté le premier la parole doit
répondre à la même kyrielle de questions qu’il a
faites, et il se passe un temps très-long avant que
cette formule de politesse soit épuisée. Je n’ai
jamais pu concevoir comment il leur est possible
de conserver leur sérieux en répétant aussi souvent
des banalités, et je riais toujours sous cape de cet
étrange cérémonial, ce dont ils se seraient formalisés
s’ils s’en étaient aperçus; mais je remarquai, au contraire,
qu ils s attachaient à prolonger ces répétitions
quand je paraissais attentif à les écouter, car ils pensaient
me donner ainsi une idée avantageuse de leur
urbanité, devant laquelle la nôtre n’est, à leurs yeux,
qu’un simulacre dès bienséances. J’ai eu aussi l’occasion
d’observer la manière dont ils traitent leurs chevaux
pendant la route. Les pauvres bêtes ont vraiment
là de bien tristes propriétaires. La première qualité désirée
par un Afghan dans sa monture, c’est un galop
rapide qui lui permette d’atteindre son ennemi lorsqu’il
fuit, ou de battre lui-même en retraite avec
promptitude s’il est vaincu. Un cheval maigre n’a aucune
valeur à leurs yeux et pourtant ils nourrissent ces
animaux de manière à ne jamais les engraisser. An
repos ils leur donnent un peu de paille hachée et
trois kilos d’orge par jo u r; en route ils les lâchent
dans les steppes en leur entravant les jambes, et leur
laissent le soin de chercher leur pâture. Dans ce cas,
l’orge est réduite de moitié et donnée le soir en une
seule ration. Ils les mettent au vert en tout temps,
quand ils le peuvent, mais alors ils retranchent la
ration d’orge commè superflue. La médecine vétérinaire,
telle que nous l’entendons, est inconnue des
Afghans. Une diète complète ou de grossières superstitions
sont les seules choses qu’ils mettent en pratique.
A l’exemple des Turkomans, ils font galoper
leurs chevaux quand ils ont bu, pour réchauffer, disent
ils, l’eau dans l’estomac de l’animal. Ils ajoutent
que si l’on négligeait cette pratique, la peau du
cheval enflerait comme une outre sur son dos, à
l’endroit où porte la selle, dès qu’elle serait ôtée, et
tomberait quelques instants après, laissant les chairs
vives à décou vert. Cette croyance explique pourquoi
ces peuples laissent leurs chevaux sellés pendant