
nous y arrivâmes, et nous eûmes à endurer des tortures
difficiles à comprendre, tortures qui étaient
augmentées par la présence de moustiques nombreux
en cet endroit, et par la vermine de mes visiteurs
de Djabéràne, qui s’était attachée à moi après
avoir abandonné les chemises afghanes. Nous campâmes
au hasard, au milieu de quelques broussailles,
assez inquiets sur ce qui pouvait nous arriver
là, car ce lieu était mal famé et fréquenté par
les pillards. J’ai remarqué que les piétons ne s’aventuraient
sur cette route qu’avec une petite outre
(mechk) remplie d’eau, 'attachée autour de leur corps
comme une giberne ; l’eau s’y conserve très-fraîche,
même en étant exposée au soleil, car le contact du
vent, quelque faible qu’il soit, suffit pour la rafraîchir,
tandis qu’elle s’échauffe instantanément si on la
transporte dans des vases. J’ai aussi éprouvé que la
mastication diminue beaucoup les souffrances causées
par la soif.
Ab-Khourmè et Guiranèh. — 27 juillet. — 14 far-
sangs de marche, d’abord dans les montagnes, puis
en plaine : pays inculte, presque inhabité, très-boisé
et fort giboyeux, malgré le manque d’eau.
Avant de partir de Tchâh-Djéhàne j ’eus encore
une scène affreuse avec le palefrenier Ahmed. Ce
misérable, m’ayant vu céder la veille, s’était flatté
de l’espoir de me dépouiller en détail; et, dans ce
but, il me signifia qu’il ne ferait point un pas de plus
en avant si je ne lui donnais la robe afghane dont
j ’étais vêtu. J’eus beau lui représenter que je n’en
avais pas d’autre et invoquer l’appui de Djabbar-
Khan, mon guide et mon protecteur; ce fut en vain.
Le misérable, honteux sans doute de l’espèce de neutralité
qu’il avait gardée entre mes domestiques et
moi, me demanda mes bottes pour lui-même, et
le serbas Ali exigea aussi mon turban. J’eus un
moment la pensée d’en finir avec ces coquins. J’étais
bien armé ; ils l’étaient aussi, il est vrai, mais en
prenant l’initiative je pouvais les tuer l’un après
l’autre comme je l’aurais fait de bandits m’arrêtant
pour me demander la bourse ou la vie. Mais je finis
par comprendre que cela ne m’avancerait à rien. Comment
ensuite charger tout seul les bêtes de somme et
me présenter au milieu de populations hostiles? Comment
expliquer les motifs que j ’avais eu de fusiller ces
gredins? Ces motifs seraient-ils acceptés? Je finis par
transiger comme à Djabéràne ; il n’y avait rien de mieux
à faire, seulement au lieu de me dessaisir de mes effets
d’habillement, je leur en donnai la valeur en argent.
Après cette nouvelle scène, je me sentis épuisé par
la discussion et la soif.; j ’aurais été incapable de continuer
la route si le ciel n’eût fait passer en ce moment
un piéton, ayant à sa ceinture un mechk rempli d’eau,
qu’il me vendit 1 fr. 20 c. Malgré ce prix exorbitant,
je trouvai cependant que le marché était à mon avantage.
Cette eau me sauva probablement la vie et je
pus ensuite franchir 5 farsangs en passant à travers
des montagnes quelque peu boisées, qui nous séparaient
d’Ab-Khourmè, caravansérail anglais abandonné,
près duquel était établi un campement de
nomades pillards loin duquel nous jugeâmes prudent
de rester. Nous nous abritâmes au milieu d’un taillis