
apaiser la colère céleste. Quand la nuit fut venue,
une foule de personnes montèrent sur les terrasses de
leurs maisons et remplirent l’air de cris déchirants
en invoquant Allah, Mohammed, Omar et compagnie.
Ces clameurs étaient lugubres et déterminèrent probablement
beaucoup plus de cas de choléra que si
l’on eût observé un silence religieux, tant elles étaient
effrayantes et prolongées.
14 septembre.—Sept à huit cents personnes moururent
à Kandahar le 14; la consternation se lisait sur
tous les visages. Le fléau sévissait surtout dans la
campagne, dont les populations refluaient vers la
ville, pensant fuir le danger qu’elles rencontraient au
contraire, bien plus imminent, dans ce grand centre
de population.
Les médecins et les Mollahs, assemblés en permanence
depuis trois jours, avisaient aux moyens de
couper le mal dans sa racine, ils avaient promis au
peuple des recettes infaillibles ; mais celui-ci, las
d’attendre vainement, commençait à murmurer et
menaçait de se porter à des violences. Des bruits
d’eau et de farines empoisonnées circulaient parmi les
masses, et, il était dangereux de laisser disserter plus
longtemps l’ignorance populaire. L’embarras était
grand parmi les Ulémas, quand l’un d’eux, mieux
inspiré que ses confrères par les ressources de son
esprit, s’écria tout à coup d’un air sentencieux :
«Musulmans, c’est en vain que vous dépensez
« des trésors de science, que vous jeûnez et vous mor-
« tifiez pour scruter les sources et la profondeur du
« mal, pour en arrêter les effets. Les décrets de la
« Providence sont le plus souvent impénétrables ;
« mais le Dieu très-haut permet quelquefois à la plus
« humble de ses créatures de voir en songe les causes
« qui font peser sa colère sur les vrais croyants et sur
« ceux auxquels il a refusé sa lumière. Croyez-moi,
« illustres savants, la cause du fléau n ’est pas loin de
« nous, elle m’a été révélée la nuit dernière par
« l’ange Gabriel.—Tant qu’Ahmed-Chahi (nom que les
« Afghans donnent quelquefois à Kandahar, en l’hon-
« neur de son fondateur Ahmed-Châh), sera souillé
« par la présence d’un infidèle, ennemi de Dieu et des
« hommes, m’a-t-il dit d’une voix tonnante, vous
« n ’avez à espérer aucun adoucissement à vos maux. »
La sortie était trop directe pour que l’assemblée pût
s’y méprendre. J’étais l’infidèle signalé à sa vindicte.
On tint conseil et-on se prononça séance tenante sur
ce qu’il convenait de faire. Huit Mollahs des plus considérés
se rendirent chez Kouhendel-Khan et lui demandèrent
ma tête. Une vive discussion s’engagea entre
eux, et le Serdar refusa énergiquement d’accéder à
leur demande; il brava leurs menaces, dont il arrêta
l’exécution en les faisant enfermer dans une chambre,
pendant qu’il envoyait cent cinquante Sipahis pour
défendre mon logis. Il nous fit parvenir en toute
hâte quelques provisions et des munitions et nous
enjoignit de nous barricader, de nous garder soigneusement
en attendant l’événement qu’il prévoyait. Les
cris de la populace le forcèrent à relâcher les Mollahs
après quelques heures de détention. Ceux-ci,’furieux,
se rendirent à la mosquée, entourés d’une foule compacte;
mais l ’espace manquant pour la contenir en