
« sauvée.» Au milieu de mille recettes absurdes
dont il faisait usage contre ce fléau, je remarquai
celle des quatre-vingt-dix-neuf attributs de Dieu répétés
en présence du malade par trois vieillards, deux
adolescents et une fille vierge, deux fois de vive voix
et une fois dans le silence de la pensée. Après m’avoir
fait connaître confidentiellement ce merveilleux
moyen, il ajouta : « Dieu est miséricordieux et n’a
« jamais cessé d'être favorable au plus infime de ses
« serviteurs. Pendant cette malheureuse époque (du
« choléra) je puis me flatter d’avoir été particulière-
« ment l’objet de sa divine sollicitude. Écoutez et vous
« allez en être convaincu. Deux jours avant l’appari-
« tion du choléra dans nos murs, j’avais été prévenu
« de son arrivée par un songe. C’était une hèure
« avant la première prière; mon sommeil était lourd
« et oppressé, je me débattais soüs je ne sais quelle
« étreinte, quand un chambellan (PichkhedmedI de
« notre excellent Vézir parut dans ma chambre et
« m’invita à aller faire ma visite quotidienne au
« palais. Je me rendais en diligence à cet ordre,
« lorsque je m’arrêtai court à l’aspect sinistre de deux
« étrangers vêtus de rouge, à la figure pâle et eada-
« véreuse, arrêtés sur le Seuil du palais. Ils me don-
« nèrent les premiers le sélatn, et je le leur rendis
« avec peine, tant leur aspect m’avait tristement
« impressionné.—0 étrangers ! leur dis-je, quelle
a espèce de gens êtes-vous (iché-rnerdoum eslid)? d’où
a venez-vous? que voulez-vous?...--Nous sommes le
a choléra (vêba estim), me répondirent-ils d’une voix
a sombre, et nous venons ici par ordre de Dieu trèshaut.—
A ces mots je m’enfermai le plus hermé*
tiquement possible dans ma pousiine (manteau'de
peau) et je la serrai fortement sur ma poitrine, ayant
soin de retenir ma respiration pour éviter, à leur
contact, les atteintes de la maladie. Après avoir pris
cette précaution et m’être reculé dè plusieurs pas
en recommandant mon âme à Dieu, je leur de2
mandai :—A qui en voulez-vous ? —Ni à toi, ni au
Yézir-Saheb, ni à sa famille, me répondirent-ils ;
mais nous avons plus d’un compte à régler avec
certains mécréants qui abusent de la bonté divine
et méconnaissent la loi du Prophète.— Redoutables
envoyés, leur dis-je, je ne suis ni cherabL
khour (ivrogne), ni teriaki (mangeur d’opium)?
ni bmgni (mangeur de haschich), ni bètchè-bdz,
laissez-moi donc passer en paix. — Aussi n’est-ce
point à toi que nous avons affaire, répondirent-
ils, mais bien à un de tes confrères, dont 1’inca-
pacité à causé la mort d’ün grand nombre de gens.
Ses victimes le réclament, et Dieu, prenant leurs
plaintes en considération, nous a chargés de le lui
amëner. — Sur ce, ils s’éloignèrent et je m’éveillai
presque aussitôt. Malgré mes nombreuses occupations,
ce songe me préoccupa pendant deux jours.
Le troisième, je ressentis, le premier dans la ville,
les atteintes du choléra.J’éprouvai pendant quatorze
heures les plus cruelles angoisses; mais, grâce à
mon sang-froid et à ma science, j ’échappai à la
mort. Ces quatorze heures de souffrances m’avaient
révélé les organes particulièrement attaqués, j ’en
reconnus les causes et compris de suite le remède a