crus d'autant plus sincère que quelques instants après
m'avoir quitté, le Serdar me renvoya une partie des
objets qu il m'avait extorqués lors de mon premier
passage par sa résidence. Mais cette joie fut de courte
durée, car le Mounchi, Feïz-Méhémed, qui vint dans la
soirée pour me faire signer la déclaration exigée,
m'informa en confidence que Méhémed-Sédik ne m’avait
rendu ces objets que parce qu’il savait bien qu’ils
lui reviendraient de nouveau, augmentés de ceux que
j ’avais pu soustraire à sa vigilance. 11 avait effectivement
ordonné aux Sipahis qui devaient m'accompagner
de me dévaliser quand je serais engagé dans les
déserts du Sistan.
20 septembre.—Le lendemain, le Mounchi prévint
le Serdar de mon refus de signer la déclaration exigée
et de mon intention de continuer mon voyage par la
route indiquée par son père, c'est-à-dire par Hérat.
Celui-ci me fit aussitôt amener près de lui, me parla
dans les termes les plus affectueux, et insista pour me
décider à passer par le Sistan ; mais je refusai net et
rentrai dans ma prison. Une heure après Méhémed-
Sédik venait m’y trouver accompagné de trois serviteurs,
ses âmes damnées, et me déclarait que mon
refus de passer par la route que j'avais d'abord acceptée
dénotait une méfiance très-injurieuse pour lui :
il partit de là pour m'ordonner de lui rendre les objets
qu’il m’avait restitués la veille, et, sans attendre
mon assentiment, ses sbires ouvrirent ma malle et la
mirent au pillage. Trop habitué, en Afghanistan, à
de pareilles scélératesses pour en être affecté, je restai
dans une complète indifférence pour cette nouvelle
avanie : mais mon irritation ne connut plus de bornes
quand le Serdar voulut me forcer à lui offrir moi-
même en cadeau, par écrit et en présence de témoins,
ces objets qu’il me volait avec tant d’impudence.
Quand il me vit si résolu il assembla une espèce de
conseil, composé d’une douzaine de coquins comme
lui, devant lesquels je fus amené. Là je fus invité à
fixer le prix des objets dont il venait de me dépouiller,
et leur valeur me fut immédiatement comptée, partie
en châles et le reste en pierreries. L'argent comptant
qu’il m’avait enlevé lors de mon premier ' passage
fut réglé au moyen d’une lettre de change, sur un
négociant de Hérat, son associé, Séyid-Méhine-Châh.
Bien que fort lésé par cet arrangement forcé, je m’en
serais montré très-satisfait si, à la nuit close, Méhé-
med-Sédik-Khan n’était venu en secret dans ma prison
m’enlever les objets qu’il m’avait publiquement donnés
en payement dans la journée. La lettre de changé,
oubliée sans doute, resta seule entre mes mains,
mais sans profit pour moi puisqu’elle ne fut pas acquittée
à présentation. Le Serdar me quitta triomphant
après avoir terminé cet exploit de forban en
m’adressant ces paroles :
« Pars maintenant par la route qui te conviendra,
« je me charge gratis du transport de ta personne
« et de tes effets ; ne regrette point ces bagages in-
« utiles à un voyageur, Dieu est miséricordieux et tu
« arriveras à bon port.
— « Conviens, lui dis-je, que sa miséricorde ne se
« montre guère en ce moment puisqu’elle me livre à
« la merci d’un chef aussi inhumain que toi.