savent pas se rendre compte de sa valeur. En aucun
cas ils n'acceptent en payement la monnaie de cuivre,
et ils refusent même souvent celle d’argent : en
échange des provisions qu'ils consentent à céder, ils
exigent des objets à leur usage, particulièrement une
grosse toile de coton, nommée kerbas, dont ils se
l'ont des chemises, des ceintures, des turbans et des
pantalons; les autres choses qu’ils préfèrent ensuite
sont le thé, le café, le sucre et le tabac. Je suis souvent
resté affamé de longues heures pour avoir négligé
de traîner avec moi une charge de ces importants
objets de transaction.
Guerm-Aô et Tchâh-Guèz.— 28 juillet. — 13 far-
sangs à parcourir, dans d’étroites vallées resserrées
entre de hautes montagnes : sol inculte, couvert de
taillis de tamariscs; çà et là, au loin, quelques tentes
de nomades.
Après avoir franchi 6 farsangs pendant la nuit,
nous arrivâmes à Guerm-Aô, ou, plus correctement,
Guerm-Ab, lieu inhabité, et ainsi nommé d’une source
d’eau, prétendue thermale, qui n’a que 4 ou 5 degrés
au-dessus de zéro; son goût n’a aucune saveur étrangère
et n’indique nullement qu’elle soit saturée de
parcelles métalliques. A vrai dire, il ne me paraît guère
probable qu’elle ait toujours été dans cet état; faute
d’être entretenue, cette source se sera probablement
mélangée avec d’autres, au point d’être aujourd’hui
méconnaissable. Ce qu’il y a de certain, c’est que ce lieu
devait être autrefois fréquenté, car on y voit les ruines
d’un édifice qui paraît avoir été une habitation prin-
cière ; il est encore ombragé par des arbres séculaires.
Presque à côté s’élève un caravansérail anglais inachevé.
Il y a une incroyable quantité de gibier dans le pays
environnant, on y trouve particulièrement des perdrix.
La chaleur, quand nous y passâmes, était de 45 degrés
centigrades à l’ombre. J’avais acheté quelques minces
provisions de bouche à Guiranèh, les seules qu’on eût
voulu nousvendre; meshonnêtcscompagnons toujours
afl'améslesavaienlmangées pendantla marchede nuit,
et il ne nous restait plus qu’un kilog. de riz en arrivant à
Guerm-Aô. Le serbas Ali, qui avait encore faim, voulut
bien faire cuire le pilau. Mais pour le rendre plus substantiel,
surmontant mon besoin et ma fatigue, j ’allai
tuer quelques perdrix dans les ravines des alentours.
Dès que j ’en eus trois, au bout d’une heure, je revins
au gîte avec un surcroît d’appétit; comment peindre
ma douleur, ma rage, mon désappointement quand je
vis que le déjeuner sur lequel j ’avais compté venait
d’être dévoré par quatre Si palus se rendant de Hérat à
Kandahar, qui s’en étaient emparés sans façon, à ce
que disait Ali ! Je ne fus point dupe de ce drôle, dont
la barbe encore grasse et mêlée de grains de riz indiquait
clairement qu’il avait été le complice et probablement
l’instigateur du larcin ; les mêmes indices
accusaient Ahmed et Djabbar-Khan, qui n’avaient
même pas fini de mâcher la dernière bouchée. Que
faire ? me fâcher eût été inutile et peut-être dangereux
: je pris mon parti, et quand mes étranges
hôtes s’éloignèrent en me félicitant ironiquement sur
1 excellence de mes comestibles et de mon cuisinier,
je leur répondis sur le même ton que je regrettais que
mon déjeuner, n’ayant été préparé que pour quatre
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