« sade, cela pourrait éveiller leurs soupçons, ce qui
« est inutile. Je leur écrirai que je vous ai engagé
« moi-même à passer par Kandahar, et, quels que
« soient les différends qui existent entre le chef de
« cette ville et moi, j ’ai lieu de croire qu’il prendra
« ma lettre en considération. »
Je trouvai, à mon grand étonnement, Yar-Méhémed-
Khan aussi confiant cette fois-ci envers moi qu’il s’était
montré soupçonneux lors de notre première entrevue.
Le Serti p attribua ce changement à la réponse, reçue
quelques jours auparavant par le Yézir-Saheb, à une
lettre qu’il avait écrite en Perse dès qu’il avait appris
mon départ de Meched pour Hérat, afin de se renseigner
sur mon compte. 11 paraît qu’on l’avait tout à
fait rassuré, et que l’épître dont Osman-Khan avait
attendu tant d’effet n’avait provoqué que son hilarité.
Pendant les quatre journées de ce séjour à Hérat, je
m’occupai des préparatifs de mon nouveau voyage, et
je crus un moment qu’il faudrait complètement y renoncer,
personne ne voulant me conduire à Kandahar.
Tout le monde essayait de me dissuader de m’v
rendre : on me représentait cette province comme peuplée
de fanatiques très-hostiles aux Européens, et on
était sûr qu’il m’y arriverait malheur. Je trouvai un
seul serbane disposé à m’y transporter, mais craignant
d’attirer sur lui quelque désagrément en se chargeant
d’une pareille mission, il ne voulait courir cette
chance qu’en me faisant payer la location de ses chameaux
à un prix tellement élevé, que je dus renoncer
à utiliser ses services.
Enfin, après bien des pourparlers et des courses,
je finis par me procurer trois yabous (chevaux de
charge) chez ce meme Sultan—Mehemed, frere du
Serlip, qui avait été chargé de me surveiller pendant
mon premier séjour à Hérat. Ce drôle avait
eu l’audace de me demander un présent pour le récompenser
de la peine qu’il avait prise en me servant
de geôlier et en m’espionnant : naturellement j’avais
laissé sa demande sans réponse ; mais il se rattrapa
lorsqu’il fut question de me louer ses chevaux, et
quoique notre transaction s’opérât par l’ordre exprès
du Yézir, il ne me fit pas moins payer leur location,
jusqu’à Kandahar, le triple du prix habituel.
Nous convînmes qu’il me fournirait trois yabous :
un pour mes bagages, le second pour me servir de
monture, et l’autre pour Ali, serbas placé sous ses
ordres, qu’il me cédait jusqu’à mon arrivée à Kandahar,
afin de remplacer mon domestique. Méhé-
med, celui qui me quittait, et le seul que j ’eusse
rencontré de fidèle et d’honnête depuis que j ’étais en
Asie, venait de tomber malade, et c’était là le motif
de notre séparation. Ce pauvre garçon était natif
de Hérat ; sa famille s’était attiré la colère de Châh-
Kamràne, il y avait une dizaine d’années, pour
une simple peccadille. Quelques-uns des siens furent
alors mis à m o rt, d’autres prirent la fuite, et
lui, encore enfant, fut vendu par Yar-Méhémed-
Khan aux' Turkomans, et conduit à Khiva, o ù ,
après quelques années de captivité, le hasard lui fit
trouver une bourse de 20 tellahs1. Sur ces entrefaites,
1 Un tellah est une pièce d’or de la valeur de 13 à 14 f r.— Ed.