
face des choses ! Car, je l’ai déjà dit, l’Afghanistan
est le pays de l’imprévu, et tel qui est aujourd’hui
au faîte des honneurs en sera précipité demain. Là,
point de stabilité, point de projets fixes possibles; tout
y marche au jour le jour, sans prévision de l’avenir,
sans système arrêté; et la puissance, au lieu d’y être
le privilège de la naissance ou de la capacité, n’y est
que trop souvent l’apanage d’un soldat heureux. Il
faut attribuer à cet état de choses toutes les luttes,
toutes les révolutions qui ont ruiné ce malheureux
pays et décimé ses populations.
Au point de vue de la succession au pouvoir, la
principauté de Kandahar n’est pas dans une situation
plus favorable que celle de Kaboul. Quelques mois
après son évacuation par les Anglais, Kouhendel-
Khan, père de l’Émir Dost-Mohammed, y rétablit son
autorité après avoir complètement battu Seïf-Der-
Djing, üls de Châh-Choudjà-el-Moulk, qui la gouvernait
en reconnaissant la suzeraineté du gouvernement
de Calcutta.
Si Kouhendel-Khan n’a pas eu à lutter autant que
son frère de Kaboul pour rétablir la tranquillité
dans ses États après sa restauration, il le doit à des
avantages qu’il a accordés aux Serdars et aux Mollahs.
Il s’efface tellement devant ces derniers, qu’on peut à
peu près les considérer comme les véritables gouverneurs
de Kandahar. Ce prince n’est que leur intermédiaire
auprès de la population, et, à moins d’être
personnellement menacé, il se garderait bien d’adopter
la moindre mesure avant d’en avoir référé à leurs
lumières. D’autre part, il a encore plus d’un embarras
à surmonter. Les Hézarèhs-Poueht-Kouhs, nomades
établis au Nord de ses possessions, le forcent à tenir
constamment sur pied un contingent de deux mille
cavaliers pour repousser leurs agressions contre
ses sujets. Il doit aussi s’abstenir de tout acte qui
pourrait froisser la susceptibilité de son neveu Méhé-
med-Akbar-Khan, et surtout d’un rapprochement avec
les Anglais. Ce serait là le signal de l’envahissement
du Kandahar par ce parent ambitieux et dangereux,
Kouhendel-Khan subit l’influence de la Perse où il
a trouvé une généreuse hospitalité pendant les trois
années de son exil. Il vise, de concert avec elle, à
renverser du pouvoir Yar-Méhémed-Khan, chef du
Hérat, et espère arriver à lui substituer un de ses
frères1. Jusqu’ici il a seulement employé l’intrigue
pour atteindre ce but; une manifestation armée serait
une imprudence qui lui attirerait sur les bras ses
deux ennemis les plus redoutables : au Nord, son
neveu, gendre de Yar-Méhémed-Khan, Méhémed-
Akbar-Khan de Kaboul, qui ne resterait probablement
pas spectateur impassible de la ruine de son beau-
père; au Sud, les Anglais, qui ont tout intérêt à ce
que les affaires du Hérat ne se modifient point de
manière à augmenter la puissance de la Perse ou des
» On se souvient sans doute que l’une des causes principales
de la guerre des Afghans fut la découverte du traité fait entre
la Perse et Kouhendel-Khan, sous la garantie de la Russie, dont
le but principal était la cession de Hérat au chef de Kandahar.
La copie originale de ce traité, qui ne fut jamais formellement
exécuté, se trouve dans le Blue-book des Afghans de
1838-1839. — Ed.