
et finit toujours par s’en trouver beaucoup plus mal
que s’il restait tranquille et laissait agir la nature.
Après la longue comédie dont je venais d’être
témoin, j’espérais qu’on allait laisser au Serdar le
repos dont il avait tant besoin ; mais au lieu de cela,
toutes ses connaissances, et c’étaient les trois quarts
d e là population de la ville, vinrent le visiter,successivement,
jusque bien avant dans la nuit. En entrant
et en sortant, chacune d’elles faisait une prière et des
souhaits pour le prompt et complet rétablissement de
la jambe fracturée; la compagnie présente répétait
en choeur ces prières, et ce fut une litanie non interrompue
jusqu’au moment où chacun alla se coucher.
Le lendemain, je fis visite à un autre malade, mon
ancien hôte , le Sertip La’l-Méhémed-Khan. 11 avait
traité d’une manière si bizarre son prétendu refroidissement,
pris tant de mercure pour se guérir, qu’il
était tout endolori et enflé comme une outre. Son
état était pitoyable. Le calomel, qu’il avait avalé à
des doses incroyables, avait réagi sur sa gorge et sa
bouche ; elles étaient couvertes d’ulcères et il bavait
abondamment sans pouvoir prononcer un mot. Il me
répondit par signes. J’ai appris trois ou quatre mois
plus tard que le pauvre diable était mort de cette
maladie.
. On ne peut se faire une idée de l’ignorance des médecins
ou plutôt des empiriques de l’Asie centrale;
elle n’est égalée que par leur présomption et la confiance
incroyable qu’ont en eux les malheureux habitants
de ces contrées. Je pourrais rapporter une foule
de faits dont j’ai été témoin, qui sont déplorables,
mais qui exciteraient un fou rire. Entre cent, j ’en
raconterai un seul, qui peut donner une idée de tous
les autres, et surtout de l’aveugle croyance dans les
songes. Qu’on n’imagine pas que le récit suivant soit
chargé ; j ’en ai au contraire élagué tout ce qui
pouvait paraître incroyable, et ceux qui connaissent
l’Asie en apprécieront bien la véracité. Pendant
mes précédents séjours à Hérat, j ’avais fait connaissance
avec tous les médecins de la ville. Les deux
plus renommés, Mirza-Asker et Goulam-Kader-
Khan, m’avaient fait souvent de nombreuses visites.
Je les avais toujours confondus et donné à
l’un le nom de l’autre, et vice versâ. Mirza-Asker étant
mort du choléra avant mon retour, quand je l’appris,
je crus que c’était Goulam-Kader-Khan: mon étonnement
fut donc très-grand en le voyant entrer chez
le Serdar Habib-Ullah-Khan pour lui remettre la
jambe. Revenu de mon erreur, je lui témoignai toute
ma joie de le voir encore vivant. « Ah ! répondit-il, je
« savais bien que c’était de moi dont vous vouliez
« parler à notre Vézir-Saheb, en lui disant que le plus
« savant des médecins lxératiens était mort', vous ne
« pouviez que vous tromper de nom, jamais de per-
« sonne ; nul,autre n’était digne que moi de vos pré-
« cieux; éloges. » Je laissai Goulam-Kader-Khan dans
cette persuasion, bien que je pensasse autrement, et
j’amenai la conversion sur le choléra. Je le priai de
me communiquer ses remarques à ce sujet. «Oh! me
« répondit-il, sa guérison peut être difficile pour mes
« ignorants confrères, mais pour moi c’est un vi’ai
« badinage; demandez plutôt à la ville entière que j ’ai