Cli. Napier, ne négligea rien pour redoubler les terreurs de son
frère et pour le pousser h la révolte, tandis qu’en même temps
il instruisait le général anglais des préparatifs qu’il faisait faire
et qu’il représentait comme hostiles. D’une part, il persuadait à
Roustem que le général voulait le priver de sa liberté, et de
l'autre* il disait à sir Charles Napier que Roustem levait des
troupes de tous les côtés pour attaquer les Anglais. Sir Charles
ne fut pas longtemps dupe de ces intrigues, mais il avait intérêt
à être trompé et feignit de l’être. Quant au pauvre vieillard,
les choses en vinrent pour lui au point qu’après avoir abdiqué
en faveur dé son frère, et cédé h celui-ci tous ses droits, il se
vit ou se crut dans la nécessité de fuir au désert, oii ou le pour-
suivit comme une bête fauve. Après y avoir erré pendant près
de six semaines avec quelques membres de sa famille et quelques
centaines de serviteurs, sans autre abri qu’une petite tente
pour le garantir des rigueurs de la saison et du climat, il dut
eniin se livrer à la discrétion de ses ennemis. Ce pauvre prince
qui/ sans avoir commis le moindre crime, ignorant même pourquoi
on le persécutait, se voyait proscrit dans le pays qu'il avait
paternellement gouverné* détrôné et insulté par une nation qu’il
avait comblée de faveurs, prit alors le parti d’en appeler à la
justice humaine, et jamais sans doute appels plus touchants ne lui
furent adressés; mais cette voix s’éleva en vain : Ali-Mourad
avait si bien su s’insinuer dans l’esprit de sir Charles Napier,
que ce général ne voulut même pas entendre les plaintes de la
victime, et refusa d’entrer dans aucune espèce d’éclaircissement
sur ses affaires.
Le vieil Émir, écrasé sous le poids de tant de chagrins et
d’humiliations et le coeur déGhiré d’une si noire ingratitude,
chancela alors sur le bord de la tombe. Une maladie grave faillit
le sauver des désastres qui attendaient la fin de sa carrière, « et
pouitant (c’est le Bombay Courier qui eh fait la remarque)
même dans cette extrémité il ne laissa échapper ni Un reproche
ni une menace de vengeance; mais les guerriers de son pays
étaient des hommes d’une autre trempé. Us voulurent savoir ce
qu’avait fait leur vieux chef. Us demandèrent qu’il y eût au
moins une enquête sur sa conduite, et, dans le cas oit la perfidie
d’Ali-Mourad serait prouvée, que l’on châtiât le calomniateur
et qu’on rendit justice à là Victime. »
• Si cette demande, aussi simple que légitime, avait été accueillie,
il n’y aurait eu ni guerre, ni conquête du Sind, les Béloul-
chis auraient déposé lès armes ; un tel dénoûment allait droit
Contre le$ vues du général Napier ; il lui fallait des victoires et
du butin, parlant une révolution à dompter, un peuple à combattre.
Malgré l’avis et en dépit même des protestations énergiques
du colonel Outram, qui avait Uni par démêler la vérité
au milieu de tous ces complots, le général Napier enjoignit à
ce fonctionnaire de passer outre à la condamnation de Roustem,
et répondit aux loyales remontrances des Beloutchis par de
nouvelles confiscations. Dix-huit chefs les plus considérés furent
dépouillés, tant au profit d’Ali-Mourad qu’au profit des Anglais
et du Khan de Bahahouelpour. Sur un revenu total de 174,400
livres sterling, appartenant à divers Emirs, parents ou alliés de
Roustem, des propriétés rendant annuellement 111,728 livres
furent séquestrées. Lë colonel Outram, obligé par ordre supérieur
d’apposer sa signature à ces ordonnances, les caractérisait
ainsi dans une lettre officielle qu’il écrivait à sir Charles
Napier le 26 janvier 1843, c’est-à-dire vingt-deux jours avant la
bataille de Miani :
« Je le dis avec un profond regret, mon CCéut et le jugement
que Dieü m'a donné s’accordent à condamner les mesures que
nous venons de décréter au nom du gouvernement de l’Inde,
comme étant l’expression de la plus odieuse tyrannie, l'accomplissement
d’une félonie, d’un vol positif et manifeste, et je Considère
que chaque goutte de sang qui sera versée en conséquence devra
retomber Sur nos têtes, comme étant le sang du meurtre; car
c’est mon avis que la révolution soudaine que nous cherchons à
produire dans le gouvernement de ce pays est aussi peu demandée
par les nécessités de la politique qu’elle est absolument
sans excuse au point de vue de la morale, et qu’elle doit
certainement entraîner les plus grands malheurs. «
La loyauté du colonel Outram devait se briser contre l’orgueil
et la rapacité du gouverneur du Sind. Non-seulement ses
protestations restèrent sans écho et il perdit sa place (comme
du reste il s’y attendait), mais il eut encore l’honneur de partager
la persécution des innocents qu’il avait voulu sauver. Il
n’y à pas de Calomnies qu’on n’ait fait courir sur son compte,
et aujourd’hui sa carrière diplomatique est terminée. Quant aux