
vover à Kandahar, où je pourrais m'expliquer mieux
de vive yoix avec son père que par sa correspondance.
Je lui reprochai de me laisser mourir de faim et d’exciter
contre moi ses Sipahis. Tout embarrassé que
parût le misérable de cette apostrophe, il éluda une
explication sérieuse et ne me jeta que quelques mots
en passant.
« Ne t’inquiète point, me dit-il, de mon appa-
« rente froideur envers toi, elle est nécessitée par
« Ja force des choses. Je souffre plus que tu ne
« saurais le penser des grossièretés auxquelles tu es
« en butte de la part de mes gens, mais que puis-je y
« faire? Ce sont des bêtes brutes d’Afghans, sa n s
« frein ni raison : ils sont déjà très-irrités contre
« moi de ce que je t’ai tiré d’entre leurs mains avant-
« hier, et ils ne me pardonneraient pas une bien-
« veillance trop apparente à ton égard. Néanmoins ne
« t’alarme point, car je ne cesse de veiller à ta
« sûreté, et j ’écrirai de nouveau ce soir à Kandahar
« pour prier mon père de t’appeler près de lui. S’il
« refuse, sois sans inquiétude, je te ferai reconduire
« honorablement à Hérat, et tu seras à l’abri de toute
« insulte. »
Après m’avoir rassuré de la sorte, le Serdar sortit
sans attendre ma réponse et je demeurai aussi incertain
qu’auparavant, livré aux plus noires réflexions.
Je me rappelai alors les'prédictions de mes compagnons
de route de Téhéran à Meched, qui, pour me
dissuader du projet d’entrer en Afghanistan, ne cessaient
de me dire : « Ne va pas chez ces barbares, ce
« sont des anthropophages; s’ils ne te mangent point,
« le moins qui puisse t’arriver est d’avoir le col
« coupé. » Je ne pouvais me dissimuler que ce triste
sort ne fût, suivant toutes les apparences, à la veille de
s’accomplir ; mais à force d’y réfléchir je m’habituai à
en voir arriver le moment sans faiblesse. Je me rappelais
la mort héroïque et iière des infortunés Stod-
dart et Conolly, et je ne voulais pas qu’on pût dire
qu’un .Français fût mort moins courageusement
qu ’eux. J’étais donc armé de toutes pièces contre les
amères réflexions que me suggérait la prévision de
ma fin prochaine, mais, chose étrange, cette idée n’était
pas ce qui me tourmentait le plus, et il m’était
plus difficile de m’accoutumer à ce désoeuvrement
qui rendait les journées si longues pour moi. Je
ressentais vivement le besoin de la compagnie d’un
être civilisé avec lequel j ’eusse pu m’entretenir, et
mon isolement me-faisait plus souffrir que le danger
qui me menaçait.
12 août. — Ma détention, toute dure qu’elle était,
me paraissait cependant moins pénible que la conduite*
tenue à mon égard par les stupides et barbares Sipahis
préposés à ma garde. Ces butors se plantaient
comme des bûches devant la porte de ma prison et
me regardaient en ricanant ; dans les yeux d’un très-
petit nombre, il me semblait lire cette pensée : « Pour-
« quoi, malheureux, es-tu venu jusqu’en ces lieux,
« où tu n’as que la mort à espérer? » Mais la majorité
d’entre eux ne m’abordaient que l’injure à la bouche;
les uns ne se retiraient que pour faire place à d’autres,
qui, à leur tour, me regardaient comme un événement
et ne me laissaient pas jouir d’une minute de