
éviter une pareille complication, le Serdar me confiait
aux soins de sept de ses Sipahis, qui se rendaient à
Baghat, en suivant le cours de l’Hirmend, et devaient
me remettre entre les mains du chef de cette localité,
pour me faire conduire jusqu’à Lâch-Djouï-waine,
forteresse appartenant au Serdar Châh-Peçend-Khan,
son allié, lequel à son tour me ferait passer en Perse.
Tout était prêt pour mon départ; outre les sept
hommes de mon escorte, quatre Afghans et cinq
Béloutches s’étaient joints à notre détachement. Malgré
le replâtrage amical opéré entre moi et le Serdar,
celui-ci ne put s’empêcher de me congédier avec un
peu d’ironie ; au moment où je grimpai sur mon dromadaire
il me dit :
« J’espère que tu n’as pas à te plaindre do moi.
« Je t’ai sauvé la vie en te présentant à mon père
« comme un homme dépourvu de mauvaises inlen-
« tions. Je t’ai nourri, logé gratis ; l’hospitalité m’en
« faisait un devoir, la reconnaissance t’impose, à ton
« tour, l’obligation de m’être favorable auprès des
« Anglais, et de rehausser ma réputation. Pars donc,
« et que Dieu soit avec toi (Khouda Emra). »
Puis notre petite caravane se mit en roule. Nous
étions montés sur des dromadaires béloutches dont la
marche est très-rapide. Je trouvai d’abord ce mode de
locomotion assez peu de mon goût, mais je m’y habituai
bien vite au point de ne désirer jamais d’autre
monture pour traverser les déserts. Celui sur lequel
j ’étais monté avait les cartilages du nez percés de
chaque côté et retenus dans deux anneaux auxquels
était adaptée une corde servant de bride, au moyen de
laquelle je le dirigeais avec une grande facilité. Je remarquai
que ma monture était la seule femelle du détachement,
et l’un de mes guides ne me cacha poini
qu’on l’avait ainsi choisie à dessein, parce que les mâles
ont une réputation de vélocité et de résistance à la fatigue
que n’ont point acquise les femelles. On s’était
donc précautionné pour m’atteindre et me distancer
dans le cas où j ’aurais essayé de m’échapper. Les dromadaires
béloutches se nomment onti 1 dans la langue
du pays; ils ont une apparence grêle et sont de très-
petite taille, maiscela n’influe en rien sur leur vigueur
qui est remarquable: ils peuvent fournir pendant une
semaine des courses de vingt-cinq à trente farsangs
par jour, et rester cinquante à soixante heures sans
boire. On les emploie bien plus comme montures que
comme bêles de somme, et c’est leur vélocité qui donne
aux Béloutches de si grands avantages pour faire ces
Ichap-aoûls (razzias) à d’énormes distances de leurs
campements, en traversant des déserts où les chevaux
lancés à leur poursuite périssent de fatigue et de soif.
Les ontis des bords de l’Hirmend sont presque généralement
de couleur isabelle, et, comme le chameau,
ils se nourrissent très-facilement. Ces quadrupèdes
sont surtout très-friands d’une espèce d’épine (khari
chutur *) qui se trouve abondamment dans les steppes
de l’Asie, de sorte qu’en arrivant au gîte il n’y a qu’à
1 Ce mot est probablement une corruption de celui employé
dans l’Inde : Ont'h.—Ed.
2 Mot qui veut dire : épine de chameau. En arabe on appelle
cette plante agûl, tout le désert de l’E st est couvert de cette
végétation.—Ed.