
habits. Leurs piqûres font mourir les bestiaux quand
elles sont multipliées, cependant, on les en préserve
un peu en les frottant avec le jus d’une herbe fort
commune dans la localité. La population de ce
delta ne possède pas une chèvre ni un mouton, les
moustiques rendraient leur conservation impossible ;
aussi les remplacent-ils par des boeufs et des vaches,
et ils se nourrissent de la chair des uns et du lait des
autres. Leur industrie consiste à tisser de la grosse
toile, dite kerbas, dont ils se font des habits et qu’ils
vont vendre en petite quantité à Hérat et à Kandahar.
Ils se défont aussi dans ces villes de leur blé et de
leur orge, dont la récolte est chez eux très-abondante.
A l’époque où nous traversâmes ce pays, la chaleur
y était encore excessive et les moustiques ardents à
l’attaque. Nous eûmes bien de la peine à nous préserver
de l’une et des autres. Nous arrivâmes à quatre
heures après midi dans le petit kalèh de Djiàne-Abad,
qui dépend du district de Sékoukèh, gouverné par un
chef bétoulche, nommé Méhémed-Réza-Khan, de la
tribu des Charéguis *. Il faisait une tournée dans
ses villages pour prélever la dîme sur les récoltes, et
se trouva là pour nous recevoir. C’est le chef Bé-
loutche le plus puissant du Sistan. Il venait encore
d’augmenter^on importance en s’alliant à la famille
du Yézir de Hérat, Yar-Méhémed-Khan ; le fils de ce
dernier avait épousé sa fi lie.
Les lettres du Yézir, que je lui montrai, et ses
1 Celte tribu tire sou nom de Cliarez, habitation du chef et
1 une des places principales du Sistan.—Ed.
gens qui m’accompagnaient, me firent accueillir
comme un hôte dont on s’honore, mais j ’eus du bonheur
de posséder de telles recommandations, car
sans cela j ’aurais trouvé là le terme de mon voyage.
Les Béloutches m’eussent certainement traité en
ennemi si j’avais abordé leur pays sous la simple g a rantie
de leurs moeurs hospitalières. Une heure avant
nous, était arrivé à Djiàne-Abad le chef du district
de Cheïkh-Nassour, situé sur les bords du Khach-Roud,
nommé Ali-Khan, de la tribu des Ser-Bendis ; c’est lui
qui était en guerre avec le chef de Lâch-Djouï-waine
et dont les gens pillaient la campagne. En m’entendant
parler couramment le persan, il avait d’abord
cru que j ’appartenais à cette nation, mais en apprenant
ma qualité d’Européen, il me regarda d’un air si
étonné, avec une telle expression, que je pressentis
d’avance le langage qu’il allait me tenir. «Voyons, me
« dit-il, avez-vous un talisman de Dieu ou un pacte
« avec le diable pour oser vous aventurer au milieu
« des Béloutches? Ah! Méhémed-Réza-Khan, conti-
« nua-t-il en s’adressant à notre amphitryon, le ciel
« vous protège puisqu’il vous envoie une bonne au-
« baine!» Ce dernier,voyant paraître un peu d’anxiété
dans mes regards, s’empressa de me rassurer en réprimandant
son voisin sur la brutalité de son langage,
et en me donnant l’assurance que tous les devoirs de
l’hospitalité seraient scrupuleusement observés vis-à-
vis de moi. Ali-Khan paraissait aussi étonné de la réserve
du chef de Sékoukèh à mon égard que de ma
présence chez lui; aussi continua-t-il ses insinuations
malveillantes à mon endroit. Après plusieurs récits