
kourout à une vingtaine de gaillards, nos commensaux,
qui le firent disparaître en un clin d'oeil. Quand
il est bien préparé, ce kourout est une chose excellente :
en persan il s’appelle kechk ; je ne crois pas qu’on en
fasse usage en Europe. Voilà la manière dont il se
prépare : on fait bouillir le petit-lait résultant de la confection
du beurre ; la partie aqueuse se volatilise par
l’ébullition, qui précipite les parties solides au fond de
la marmite; quand elles ont suffisamment épaissi, on
en fait des boulettes grosses comme un oeuf de pigeon
que l’on met sécher au soleil et qui se conservent ensuite
pendant plusieurs années. O’est cette espèce de
graisse concentrée dont on se sert pour arroser le pain
et le maïs. On la dissout en la mettant délayer dans de
l’eau chaude et en la frottant au fond d’un plat en métal
jusqu à ce qu elle soit entièrement fondue; les gourmets
y ajoutent un quart de beurre frais, ce qui lui
donne un goût exquis. On verse cette sauce sur le mets
que l’on veut assaisonner, au moment seulement de
le servir. On mange aussi le kechk avec la viande,
mais surtout avec les aubergines et le poisson.
Après avoir vidé les plats, nos hôtes nous prièrent
de nous coucher tout de suite, et ils se couchèrent eux-
mêmes en rond autour de nous, en nous prévenant
de ne point franchir leur cercle pendant la nuit, car
cette désobéissance nous exposerait à recevoir quelques
déchargés de leurs fusils placés à côté d’eux dans le
but d être prêts à repousser l’attaque de leurs ennemis
les Nourzéhis, s’ils osaient se présenter. L’avis
n’était pas inutile, car, vers le milieu de la nuit,
nous fûmes réveillés par le bruit d’une vive fusillade.
Nos hôtes nous m irent d’abord en sûreté dans le caravansérail,
puis ils marchèrent résolûment contre les
Nourzéhis, qu’ils mirent en fuite après leur avoir
blessé quelques hommes. Peu jaloux de nous trouver
dans la bagarre, nous nous remîmes aussitôt en route.
Ce qui empêchera pendant longtemps encore l’unité
gouvernementale chez les Afghans, ce sont les haines
qui existent parmi les tribus et leurs subdivisions, dont
chacune forme, pour ainsi dire, une nation à part.
Ces vieilles rancunes entre elles sont difficiles à éteindre,
et pour le plus petit motif, ces peuples prennent
les armes les uns contre les autres. Les suites de
ces conflits sont déplorables pour le pays et les populations,
mais l’Afghan se préoccupe peu de cela, et rien
n’égale sa résignation dans le malheur; elle ne le cède
point à sa turbulence, à sa férocité et à son besoin de
vengeance. Cependant, quelque difficile qu’il soit de
gouverner de pareilles gens, un homme énergique,
généreux et brave, pourrait adoucir l’âpreté de leur
caractère; malheureusement, un tel homme se rencontre
rarement parmi eux. A vrai d ire , quoi
qu’il pût faire, je crois qu’il lui serait impossible de
faire renoncer ses compatriotes à la paresse dans
laquelle ils se complaisent avec délices. Dès qu’ils
ont une chétive maison en boue ou une tente, une
femme, un cheval et des armes, leur ambition est
satisfaite et ils ne sortent de leur engourdissement
que pour fcombattre et piller. Rarement leurs idées
se tournent-elles du côté du négoce, de l’industrie. Ils
seraient du reste incapables de diriger leurs affaires
par eux-mêmes : ceux qui ont quelque bien chargent