
placer les populations rend leur appréciation numérique
très-incertaine, et les donnéesque nous avons à
cet égard sur l’Asie centrale ne méritent pas d’ètre
prisesen sérieuse considération, parce que la fluctuation
du chiffre dépend du tchap-aoûl (pillage) d’une
tribu. Là rien de certain, rien de durable; tout y subit
la loi de l’imprévu , les hommes comme les choses.
Il n’y a ni liberté, ni état civil, ni la moindre notion
du droit des gens dans ces contrées, la force y est la
suprême loi. Du reste la liberté, telle que nous l’entendons,
la justice, la morale et les moyens de gouvernement
sont, chez ces populations, totalement opposés
aux idées reçues en Europe ; la liberté que veut
le peuple, c’est le désordre, l’anarchie, le pillage, le
meurtre. La politique des grands consiste à tromper
amis et ennemis, à se gorger des richesses de leurs
administrés. Ils sont dignes, d’ailleurs, les uns des
autres, car si les premiers enlèvent aux seconds le
plus clair de leurs revenus, ceux-ci, à leur tour, ne
leur sauraient aucun gré de les imposer avec juste
mesure, et préfèrent se révolter, s’expatrier et exposer
leur vie, leurs biens, la liberté de leurs femmes, celle
de leurs enfants plutôt que de se décider à payer à
l’État, même ce qui lui est légitimement dû. L’impôt
est réglé ici par une lutte entre la ruse et la force ;
il est toujours le résultat d’une transaction forcée, et
n'est jamais, quelle que soit sa modicité, consenti de
plein gré par le tributaire.
Les rives du Ferrah-Roud, qui traverse tout le
district, sont, comme celles de l’Hirmend, du Khaehek-
Roud et de l’Herroud-Roud, couvertes de forêts de
tamariscs (guèz) et de mimosas. Ses eaux sont assez'
abondantes, sauf l’été; les fortes chaleftrs et plus
encore les nombreuses dérivations que les cultivateurs
tirent de son lit, pour arroser leurs terres, le
mettent presque à sec sur la plus grande partie de
son cours ; il reste çà et là dans les bas-fonds de
grandes flaques d’eau stagnante, qui engendrent des
fièvres chez ceux qui en boivent : cependant les
troupeaux de chèvres et de moutons la boivent sans
répugnance.
15 octobre. — La réponse de Yar-Méhémed-Khan
arriva au Mollah Mahmoud dans la nuit du 14 au
15 octobre. Elle m’était favorable et ordonnait de me
laisser toutes les routes ouvertes et de me fournir le
nombre de cavaliers d’escorte nécessaires pour assurer
ma sécurité. Le gouverneur vint en courant me
communiquer cette heureuse nouvelle, en me manifestant
toute sa joie de ce bon résultat et il s’enfuit
aussitôt, ne voulant pas perdre une minute, disait-il,
pour ordonner les préparatifs de ce départ pour Chikarpour,
dont j’étais si impatient. Il m’avait remis
une lettre à mon adresse, écrite de la main même de
Yar-Méhémed, en réponse de celle que je lui avais
écrite. En voici la traduction :
« Que le très-élevé, très-haut placé, le compagnon
« de l’honneur, de la fortune et du bonheur, mon
« bienveillant ami, M. le général Ferrier, soit, sous
« la garde protectrice du Dieu tout-puissant, préservé
« de toutes les vicissitudes du sort et de toutes les
« sortes de malheurs de ce monde, et qu’il puisse
« atteindre le but de ses désirs ! Dans une heure