
Émirs du Sind et à leurs élans à demi sauvages, les batailles de
Miani et de Dobba mirent fin à leur douloureuse histoire. Un
peuple brave et généreux se leva pour la défense de ses maîtres
; mais que pouvait son courage aveugle contre la discipline
européenne ? 11 succomba, noyé dans le plus pur de son sang,
et le vainqueur profita de l’enivrement du triomphe pour consommer
inaperçue son oeuvre d’ injustice. « Ceux des Emirs, dit
le Bombay Times du 3 juin, qui n’étaient que légèrement coupables,
et celui qui était complètement innocent, furent enveloppés
clans la même condamnation : le souverain de Khyrpour,
dont tous les actes à notre égard n’avaient été que des services,
fut déporté dans l’Inde pour y partager la prison des
Émirs d’Haïdar-Abad, dont l’un était accusé d’avoir écrit une
lettre et l’autre d’y avoir apposé son cachet. Jusqu’alors la rapacité
avait semblé le seul mobile des persécuteurs ; depuis ce
temps-là, les plus lâches passions se sont donné carrière. Au
milieu d’infortunes qui auraient attendri le coeur le plus dur,
captifs sur la terre étrangère, séparés de leur famille et de
leurs amis, ces princes se sont vus en bulle aux plus atroces et
aux plus ridicules calomnies, répandues par les créatures et les
flatteurs de celui qui les avait dépouillés. »
Le Bombay Courier a manifesté plus énergiquement encore
son indignation. « La tombe s’est refermée sur l’Emir de Khyrpour,
dit-il dans son numéro du 5 juin, arrosons-la des larmes
du repentir. Le digne vieillard, comme l’appelait Burns, est
parti pour cet autre inonde où la réparation comme l’injure ne
peuvent plus l’atteindre ; mais nous pouvons au moins rendre
justice à sa mémoire en reconnaissant notre ingratitude et en la
réparant aidant que possible vis-à-vis de sa famille et de ses
compagnons d’inforlune. »
Qui ne croirait d’après cette unanimité de la presse locale,
que tous ces torts doivent être redressés, que les princes, reconnus
innocents, vont être remis en possession des patrimoines
dont on les a si injustement dépouillés ; que ce brutal et avide
gouverneur ne peut manquer d’être arraché de son siège, flétri
et dégradé de fait comme il l’est déjà dans l’esprit de ses
contemporains ; enfin, que les Anglais, si compatissants pour les
infortunes de Pomaré, dérangée dans ses orgies quotidiennes et
ses couches annuelles par le bruit des canons français, irotiveront
sinon des égards et du respect, au moins de la pitié et
de la sympathie pour les veuves et les orphelins des victimes
de leur ambition ? Mais nos voisins ont un code politique exclusivement
à leur usage, et qui les protège merveilleusement
contre les entraînements de la sensibilité, surtout quand il
s’agit de restituer le bien mal acquis........................... ;
Au moment même cependant où la vérité se
faisait jour sur les intrigues qui avaient précipité du trône le
vénérable Ëinir de Khyrpour, une coïncidence assez singulière
venait offrir à l’indignation publique un nouvel aliment. C’était à
la fin de mai que Mir-Roustem était m o rt, et c’était pour les
premiers jours de juin qu’on annonçait la vente du butin enlevé
à Haïdar-Abad et Khyrpour.................................................... .. •
. . . . . . . . . . C’est une convention établie de temps immémorial,
un engagement tacite, mais irrévocablement contracté entre
le gouvernement anglais et son armée, que pendant la durée
de la guerre, lors de toute expédition, les propriétés particulières,
c’est-à-dire individuelles, de l’ennemi sont respectées;
en revanche, les propriétés collectives et nationales, le trésor
public, les caisses civiles et militaires, les bijoux et effets précieux
de l’État vaincu, sont considérés comme butin, c’est-à-dire
comme un fonds à partager entre les soldats vainqueurs. Toute--
fois, au lieu de faire cette répartition à l’instant même, au
milieu de l’enivrement de la capture, ce qui ne manquerait pas
de produire des désordres, des scènes de violence et d’insubordination,
il est convenu que le gouvernement se fera le
caissier général de toutes les prises, et qu’il en effectuera la
distribution par l’intermédiaire et sous la surveillance d’un
comité des prises , choisi par l’armée , comité dans lequel
chaque corps a son représentant. Ce sont ces représentants
qui décident en dernier ressort ce qui est et ce qui n’est pas de
bonne prise, c’est-à-dire quelles valeurs mobilières doivent être
considérées comme propriétés particulières et quelles autres
comme propriétés nationales de l’ennemi vaincu. Tous les membres
de ce comité étant intéressés à augmenter le butin dont
ils doivent recevoir leur part proportionnelle, il va sans dire
que leurs décisions sont souvent fort arbitraires et quelquefois
d’une injustice criante , mais il est rare que la presse anglaise
s’émeuve des abus qui profilent à l’armée, dont les officiers
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