
qui remplissaient en foule la cabane en roseaux où
nous nous étions établis. Je ne compris rien aux motifs
de cette querelle, car on ne parlait que le puchtou'
ou le béloutchi dont je ne savais pas un mot; la dispute
dura toute la nuit : fatigué et malade comme
je 1 étais, je fis peu d’attention à cet incident, mais un
grand bruit qui me réveilla, vers le matin , me
prouva que le différend avait des motifs sérieux ,
et pouvait déterminer une catastrophe.
Haizar-l)jeufl%.— ^n septembre.—J’ouvris les yeux
au moment où le chef de mes guides se démenait
comme un possédé, un bâton à la main, et se défen -
dait contre une vingtaine de paysans qui faisaient
pleuvoir force horions sur ses membres. Le tapage
attira bien vite sur le théâtre du combat les six
hommes endormis ailleurs, et la mêlée fût devenue
générale si un Mollah, survenu avec ces derniers,
n’avait rétabli la paix parmi les combattants. Un moment
après nous étions de nouveau sur nos dromadaires;
mais au lieu de continuer notre route vers
Lâch, ainsi que je le croyais, je vis avec étonnement
notre petite caravane rétrograder vers Girishk
par la route déjà suivie la veille. Je demandai l’explication
de ce fait à un des Sipahis, qui me répondit
que le Ketklioda (maire) et les habitants de Bénader-
Kélàne étaient des chiens, fils de chiens, arrière-petits-
1 Le putchou est la langue afghane. Dans le Béloutchistan on
parle deux langues : le brahui et le béloutchi. M. Ferrier veut
sans doute parler de la première.—Ed.
s Ce mot veut dire : mille paires, de boeufs.-—Ed.
fils de chiens, dignes de l’enfer et de la corde qu’il
espérait bientôt leur passer au col. Je ne pus point
tirer d’autre renseignement de ce brutal. Mais le soir,
en arrivant au gîte d’Haizar-Djeuft, j’entendis le chef
des Sipahis s’entretenir en persan avec le Ketkhoda du
lieu, et je compris à peu près ce qui s’était passé. Le
Serdar Méhémed-Sédik-Khan, ayant eu besoin d’argent,
avait envoyé notre détachement pour prélever
l’impôt anticipé d’une année à Bénader; mais les
rayas n’ayant pas encore vendu leur récolte, et
se trouvant déjà en avance de six mois avec le
Serdar, avaient refusé d’acquitter ces taxes anticipées;
ils voulaient avant tout en appeler à Kou-
hendel-Khan. Cette résistance ne faisait pas l’affaire
des Sipahis, qui avaient espéré que cette mission
leur permettrait de rétablir leurs finances obérées,
au moyen d’une petite exaction. Aussi firent-ils leur
possible pour rendre plus traitables les habitants de
Bénader; mais en se voyant battus, ils craignirent
qu’il leur arrivât pire et décampèrent au plus vite,
m’emmenant avec eux sur le refus fait par les rayas
de me conduire pour rien à Lâch, à la seule fin de
faire plaisir au chef du district.
Girishk. — 28 septembre. — Nous arrivâmes à
Girishk cinq jours après l’avoir quitté, au grand
déplaisir du Serdar, qui fit bâtonner ses gens pour
avoir échoué dans leur mission. Les coquins me prenaient
à témoin des efforts qu’ils avaient faits pour
obtenir de l’argent, et du danger qu’ils avaient couru
; mais je me serais bien gardé de leur venir en
aide par mon témoignage, et j ’étais trop content de
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