
ambition. En 1844 il s’était secrètement allié à Yar-
Méhémed-Khan et à Méhémed-Akbar-Khan de Kaboul,
dans le but de se garantir mutuellement la
possession ou la succession du pouvoir dans les trois
principautés afghanes; mais les relations de Méhé-
med-Sédik-Khan avec ses alliés ont été tellement tortueuses,
ses bouffées d’orgueil ont été si sottement
et si souvent renouvelées, qu’il s’était déjà aliéné l’un
et l’autre de ces personnages quand je passai par
Girishk. Aujourd’hui c’est tout au plus s’il peut espérer
de conserver avec le gouvernement de cette dernière
forteresse celui du territoire qui forme ses dépend
a n c e s, et dans lequel il réalisait, récemment encore,
de très-beaux bénéfices : car des plaintes si nombreuses
ont été portées à son père contre son système
prévaricateur et ses concussions, que celui-ci a'enlevé
à sa juridiction les villages d’où il tirait ses plus
grands revenus.
Dans les immenses steppes situés au sud de l’Afghanistan,
les routes sont rares, et les caravanes sont forcément
obligées de suivre celles où elles rencontrent
des endroits habités pour s’y approvisionner. Girishk
est précisément le plus important de ces endroits : on
ne peut guère l’éviter, parce que, avec la douane, on
y trouve encore un bac pour traverser la rivière
Hirmend. De plus, comme le Serdar a placé des
gardes dans toutes les directions pour obliger les
voyageurs à passer par là, les caravanes sont presque
toujoûrs exposées à ses exactions; outre les droits
fixés par son père, Méhémed-Sédik-Khan les assujettit
encore à une taxe fort élevée, perçue pour son
propre compte, e t, par dessus le marché, il garde
pour lui tel ballot de marchandises, tel cheval, que
l’on transportait aux Indes pour être vendus aux Anglais,
quand il les trouve à sa convenance, et cela sans
rien payer. Toutefois, il faut se hâter d’ajouter que
la sévérité du Serdar a considérablement contribué à
diminuer le nombre des voleurs dans le pays : il a
monopolisé le métier à son profit; aussi les caravaniers
n’ont-ils presque rien gagné à ce que le nombre
des bandits diminuât, car ce que ceux-ci leur enlevaient
en détail leur est pris en bloc par le chef
de Girishk.
Ce prince est tellement méprisé par cèux de sa
nation qu’il n’a pu recruter ses escadrons de Sipahis
que dans les rangs du rebut des Afghans. Ceux
à son service ont tous un assassinat ou un gros
méfait sur la conscience ; ils ne vivent, -comme leur
maître, qu’au moyen de déprédations continuelles, et
ne font que ruiner les populations au lieu de les
protéger. Ce sont autant de corsaires écumant le pays
et le courbant sous la violence et la tyrannie; maître
et serviteurs sont tout à fait dignes les uns des
autres.
Depuis le moment où je m’installai dans mon réduit,
Rahim-del-Khan et le Mounchi Feïz-Méhémed ne
me quittèrent plus. Je n’eus aucune tracasserie à subir
de la part du premier, assez bon homme au fond;
quant au Mounchi, ce fut mon ange gardien pendant
tout le temps de ma captivité et je lui dois certainement
la vie : si ses efforts ne réussirent pas toujours
à me préserver des insultes des subalternes, ils contri-
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