
Les habitants de Hadji-Hibrahimi étaient armés et
sur leurs gardes comme ceux du campement près
duquel nous avions déjeuné dans la matinée; ils ne
nous reçurent que parce que nous aurions été obligés
de marcher encore pendant dix heures avant de
trouver de l’eau et un lieu habité, et que la nuit était
venue. S’il eût fait joui*, ils ne se seraient pas cru
engagés par les devoirs de l’hospitalité et nous auraient
éconduits. Mes compagnons de route, fatigués
par une longue traite et ayant besoin de repos, pensèrent
sans doute s’v livrer plus tôt en évitant de
fait hospitalière et courtoise, car on l’avait honoré d’un istigbad,
ce qui signitie dans la langue afghane que le fils aîné du
Khan et plusieurs autres cavaliers étaient allés à sa rencontre et
s’étaient livrés autour de la caravane à une véritable fantasia.
Le chef avait, à cette occasion, invité tous les hommes marquants
de sa tribu.
Il fut décidé avant qu’on se quittât, le soir, que le Khan et
quelques-uns de sessujels escorteraient le Dr Login, le lendemain
matin, jusqu’à une certaine distance sur le chemin de Girishk.
Il arriva pourtant que le Dr Login s’étant réveillé de très-bonne
heure (grâce peut-être à une mauvaise digestion occasionnée
par le pilau de la veille), il lui fut impossible de se rendormir. La
lune brillait d’un éclat sans pareil, le temps était superbe et le
docteur sortit de sa tente, dressée au milieu du caravansérail,
puis s’avança jusqu’à la porte d’entrée, devant laquelle se
trouvait un Parsivan éveillé, tenant en main le cheval d’un
Afghan endormi qui paraissait être placé là en sentinelle. Après
une courte conversation entre cet homme et lui, conversation
qui apprit au Dr Login des détails inconnus sur le caractère de
son hôte et de ses sujets, comme aussi sur les mauvais traitements
exercés par eux contre, les Parsivans, celui-ci se détermina,
vu son désir d’arriver au plus tôt à Girishk, à réveiller son
monde et à continuer sa route. 11 agit donc en conséquence et
adressa au Khan un message par lequel il lui faisait ses excuses
stimuler la curiosité de nos hôtes; ils leur cachèrent
ma qualité d’Européen et je passai à leurs
yeux pour un Parsivan au service de Yar-Méhémed-
Khan, ce qui me procura à moi-même un peu de tranquillité
dont j’avais grand besoin. On nous apporta
bientôt un souper pour l’amour de Dieu (ez bérayé
Khouda), sans exiger de payement. Le repas était des
plus modestes. Il se composait d’un grossier pain noir,
d’un peu de lait aigre et d’un ragoût immangeable appelé
kourout dans le pays, composé de grains de
maïs cuits et écrasés et de morceaux de pain inondés
de graisse rance et bouillante. Malgré ma faim dévorante,
je me contentai du pain et du caillé, laissant le
de le quitter d’aussi bonne heure et lui adressait uu présent pour
le remercier de ses bontés. Mais dès que le Khan apprit que
l’intention de son hôte était de le quitter deux heures plus tôt
que cela n’était convenu, il vint lui-même le dissuader d’en agir
ainsi. Celui-ci fut inébranlable, e t alors le Khan ordonna à ses
cavaliers de se tenir prêts à partir. Le docteur refusa cette escorte.
Après une marche très-périlleuse, il atteignit Girishk,
situé à cinquante milles plus loin, sain et sauf, et fut bien accueilli
par le capitaine E., qui se trouvait chargé du district.
Le jour même, de son arrivée en cet endroit, le docteur apprit,
grâce aux gens du capitaine E., que le Kh: n , pendant
son séjour chez lui, avait donné l’avis à un chef de Douranis
nommé Akhter-Khan, campé avec ses gens près de Saadati, du
passage du docteur Login à une certaine heure, et lui avait conseillé
de l’enlever, vu qu’il pourrait en tirer une bonne rançon.
Si, par un hasard providentiel, le docteur n’avait pas cru
devoir hâter son départ et refuser l’escorte qu’on voulait lui
donner, il n’eût pas atteint Girishk en sûreté, et l’exemplaire
précieux du Châh-Nameh envoyé par Châh-Kamràne à la reine
Victoria, qui avait été confié aux soins du voyageur et qui est
maintenant déposé à la bibliothèque de Windsor, eût été volé
par les assassins afghans et perdu à tout jamais.—L.