
repos. Les visiteurs étrangers ne manquaient jamais
de venir contempler, comme une curiosité, le Fren-
gui liiaffir (Européen infidèle); et d’ailleurs n’étais-
je pas prisonnier? Ne pouvaient-ils pas m’outrager à
leur aise sans crainte de représailles? Ils dissertaient
sur mon compte de la manière la plus bouffonne et
passaient successivement en revue ma conformation,
ma tenue, ma religion. On ne saurait croire tout ce
qu’ils disaient de grosses sottises, de turpitudes et
d’infamies. Il est impossible d’exprimer ce que je
souffrais de tant d’outrages et de grossières plaisanteries;
mais je m'étais armé de patience, c’était la
vertu la plus nécessaire dans ma position.
13 au 16 août.—Avant 1840, les Afghans avaient été
trop rarement visités dans leur propre pays par les
Européens pour que ceux-ci eussent pu se former une
juste idée de leur caractère. Je m’explique donc pourquoi,
avant cette époque, ils avaient été à peu près gé^
néralement considérés sous un rapport avantageux
par ceux qui ont écrit sur eux. Alexander Burnes lui-
même, qu’on peut regarder comme une autorité irrécusable
sur une foule de faits relatifs à ce peuple, est
pourtant tombé, à cet égard, dans la même erreur
que ses devanciers. Il a cru les Afghans honnêtes,
bien élevés, sans préjugés religieux et capables des
plus grandes choses. Je comprends que cette impression
lui soit restée de son premier voyage à Kaboul,
en 1832, parce qu’alors les Anglais avaient dans ce
pays une grande réputation d’habileté, de justice, de
puissance et surtout de générosité. Les princes afghans
désiraient tous ardemment leur alliance, et les sympathies
du peuple découlaient des leurs. Sultan-Méhé-
med-Khan, do Pechaver, et l’Émir Dost-Mohammed,
son frère, ayant intérêt à se rendre Burnes favorable,
le reçurent avec beaucoup d’égards. Ce dernier a dû
se former une opinion du caractère afghan sur les relations
qu’il a eues avec ces princes et les seigneurs de
leurs cours; mais les classes supérieures ne représentent
pas seules l’esprit d’une nation : en Asie comme
ailleurs elles se montrent toujours plus civilisées que
les masses. On pourrait croire cependant que Burnes,
ayant voyagé vêtu en Afghan et sous des dehors modestes,
a été assez mêlé au peuple pour pouvoir l’apprécier
à sa juste valeur; mais ceci ne serait yraisem-
blable que dans le cas seulement où ses dépenses de
voyage n’eussent pas dépassé les apparences de la médiocrité
afghane. En payant généreusement, comme
il le fit, les objets et les personnes dont il eut besoin,
il s’ôta le meilleur moyen de connaître les gens auxquels
il avait affaire, car si l’or a le talent d’assouplir
les moeurs, c’est surtout chez les Afghans. Mais,
au lieu de n’avoir qu’à leur donner, s’il se fût trouvé
dans le cas de leur demander ou de peser sur eux du
poids de son autorité, ainsi que cela lui est arrivé plus
tard, quand il était goüverneur de Kaboul et après
avoir fait imprimer la relation de son voyage, je suis
convaincu qu’il les eût beaucoup moins loués. Du
reste les Afghans eux-mêmes, il faut leur rendre
cette justice, n’ont pas la prétention d’avoir de hautes
vertus : ils ne se font les panégyristes que de leur courage,
mais, dès qu’ils entendent citer une mauvaise,
action ou un crime, ils s’écrient aussitôt avec la