
ne pouvait me faire honneur, et je refusai net. Cette
résistance ne lui convenait point ; il me déclara, bon
gré mal gré, vouloir écrire en mon nom pour obtenir
la somme en question. Je le quittai en lui laissant la
responsabilité de cette démarche, contre laquelle je
me réservais de protester : s’il avait réussi à m’amener
à ses vues, il m’eût probablement envoyé la
moitié de la somme, en réclamant pour sa peine la
moitié de ce qu’il me laissait; c’est-à-dire qu’il eût
réduit ma part à dix ou douze tomans ; puis il se
serait beaucoup ri après de mabêlise, car telle est
l’habitude en Perse. La loyauté y est interprétée
comme un manque de sens, et les plus grossières
escroqueries y sont regardées comme une preuve de
capacité (ziringui). Cependant le fourbe fut déçu
dans son espoir. Il avait compté sur le concours
du trésorier, dont il ne pouvait se passer, pour
mener sa friponnerie à bonne fin; mais ce dernier
arriva à mon logis vers le coucher du soleil, porteur
des cinquante tomans qu’Assaf avait donné l’ordre
de me compter. Il m’apprit que Mirza-Ibrahitn avait
fait d’incessantes démarches auprès de lui dans la
journée pour recevoir cette somme; il s’était douté
de son intention et avait voulu avoir affaire directement
à moi. Je lui fis présent de dix tomans pour le
remercier. Furieux de n’avoir pas participé à ma
générosité, Mirza-Ibrahim m’écrivit le 19 pour se
plaindre de mes mauvais procédés vis-à-vis de lui.
« Comment! me disait-il, vous avez eu l’indignité de
« faire un présent au trésorier et ne m’avez rien
« offert, à moi, qui me suis donné tant de peines pour
« vos affaires. Cette ignorance des usages des gens
« bien élevés dénote chez vous une triste éducation
« et une complète inintelligence des bonnes manières.
« Il n’est point étonnant qu’avec de si tristes capacités
« vous ayez été dépouillé par les Afghans. Il vous
« arrivera pareille chose partout où vous irez. » Enfin
il terminait par des malédictions et des injures dénotant
chez lui un grand désappointement et un prodigieux
besoin d’argent. Je lui répondis ironiquement,
dans le style le plus fleuri, avec les plus ronflantes
métaphores dont fourmille la langue persane, que
mon esprit n’avait pas les ressources du sien : « Je vous
« remercie, lui disais-je, de redresser mon inintelli-
« gence, c’est une leçon dont je profiterai, soyez en
« sûr, pour faire récompenser vos mérites par qui de
« droit. Les exemples des Afghans sont bons à suivre,
« à ce qu’il paraît, par les Persans; je vous félicite de
« m’avoir appris que vous étiez au nombre de leurs
« imitateurs. » Joignant l’exécution à ma promesse,
j ’envoyai sa lettre, et copie de la mienne à Assaf-
Dooulet. Le Mirza reçut une verte réprimande et ne
fut exempt du bâton que parce que j ’intercédai en sa
faveur. Pour se venger, il m’envoya d’abord mon ta-
liguèh sans y porteries vivres de route (djirèh) ; mais
j ’insistai et il fut obligé de s’exécuter jusqu’au bout. Il y
a plus à gagner avec les Persans qu’avec les Afghans,
et, pour peu qu’on puisse compter sur la protection
russe ou anglaise à Téhéran, il faut toujours se
montrer roide avec eux et maintenir ses droits ; car
lorsque leur avidité est en jeu, ils vous foulent aux
pieds si on leur fait la plus petite concession. —