
et en blocs, comme celui dont nous nous servons en
France, il se présente dans le gîte comme un banc de
corail : il est très-friable fet tombe en écailles sous
la moindre pression; il a aussi parfois la forme du
miel b rut sortant de la ruche et sa couleur est toujours
d’un blanc argenté. Outre cet agrément, ma chambre
jouissait encore de l’avantage d’une exposition particulière
empêchant le soleil d’y pénétrer pendant le
jour, tandis qu’en ouvrant pendant la nuit des soupiraux
prenant vent par le haut, il y faisait plus frais
que sur les terrasses, où les habitants de Kandahar
couchent habituellement pendant l’été. La cour était
vaste, bien aérée et ornée de deux petits jardinets
séparés par un vaste bassin dont il y avait urgence de
renouveler l’eau nauséabonde et croupie ; mais les
Sipahis ne voulurent pas s’en donner la peine, ils la
trouvèrent même assez bonne pour se baigner tour à
tour dedans, du malin au soir, afin de s’y décharger de
leur vermine. Quel que fût mon dégoût pour cette eau,
il me fallut pourtant en boire pendant tout le temps
de mon séjour à Kandahar, mes gardiens n’ayant
jamais voulu prendre la peine de m’en apporter d’autre;
du reste elle était également leur unique boisson.
Je continuais l’inspection do cette élégante prison,et
je me félicitais du choix qui en avait été fait, lorsqu’en
pénétrant dans un arrière petit jardin dont les allées
étaient dallées, et m’approchant du rond-point, occupé
par un bassin circulaire desséché, une odeur fétide me
coupa presque la respiration; elle provenait d’un
gros caillot de sang corrompu au milieu duquel
s’agitaient des milliers de vers et de mouches. Je supposai
d'abord que c’était celui d’un mouton, et je demandai
assez indifféremment à Lal-Khan pourquoi on
avait choisi un tel lieu pour la boucherie. Il répondit à
ma question par un si étrange sourire que je réitérai
ma question; il y répliqua avec brusquerie : « Cette
« maison appartenait il y a quelques mois à Mirza-
« Méhémed-Wali; pendant la domination des Anglais
« il était chargé, pour leur compte, de la rentrée des
« impôts : le sang que vous voyez là est le sien. Kou-
« hendel-Khan l’a fait tuer comme traître! Dieu
« veuille l’en récompenser dans ce monde et dans
« l’autre! » Cette sortie fut accompagnée d’un sourire
féroce dont je fus presque effrayé, et le récit de cet
homme me serra le coeur de douleur. Désirant cependant
en apprendre plus long sur cette affaire je m’adressai
aux Sipahis, qui se bornèrent à me rire au nez
d’une façon qui pouvait se traduire par cette phrase :
« Prends garde qu’on ne t’en fasse autant ! ».
Je ne pus savoir l’histoire du malheureux Mirza-
Méhémed-Wali qu’après mon retour à Girishk, où
elle me fut contée par le Mounchi, Feïz-Méhémed.
La vie lui avait été arrachée pour avoir la maison
que j’occupais et par la scélératesse du Serdar
Méhémed-Sédik-Khan. Voici comment cela s’était
passé : Méhémed-Sédik-Khan n’avait pas de pied-à-
terre à Kandahar, pour y loger quand il y venait
passer l’hiver; fatigué de prendre une maison en
location et ne voulant pas en faire construire une
qui lui aurait coûté fort cher, il aima mieux s’approprier
celle du Mirza par un crime. Pour arriver à ce
but, il fit écrire une fausse lettre, censée adressée