
— « Ne blasphème pas, répondit-il, cela te porté-
« lait malheur. La miséricorde de Dieu est infinie et
« tu ne devrais pas t’en plaindre, puisqu’après l’in-
« signe folie que tu as faite de venir en Afghanistan,
« tu as encore la tête sur les épaules, »
Malgré cet avertissement indirect j ’accompagnai le
Serdar de toutes les imprécations en usage parmi les
Orientaux lorsqu’il me quitta.
21 septembre.—Méhémed-Sédik revint près de moi
le lendemain de très-bon matin, et me demanda une
attestation écrite d’amitié et la facture acquittée des
objets qu’il m’avait payés en présence de témoins.
Cette demande ne fit qu’ajouter à l’irritation que
m’avait fait éprouver notre altercation de la veille; je
la repoussai énergiquement en accablant le scélérat de
reproches auxquels il se montra très-peu sensible.
Voyant l’inefficacité de ses paroles pour me convaincre,
il me fit conduire dons une cour isolée et attacher
à un poteau, la tête découverte, exposé à un soleil
brûlant. Ses Sipabis vinrent tour à tour m’injurier
et me jeter des excréments à la face. Ce supplice
durait depuis cinq heures quand le Serdar vint s’informer
en personne si mon obstination résistait à ces
ignobles traitements. Lorsqu’il me vit toujours dans
des dispositions de résistance il me menaça de son
poignard, dont je sentis sur mon col la pointe acérée.
Ce fut un terrible moment et je ne l ’oublierai de ma
vie ; mais, déterminé comme je l’étais à mourir, rien
ne put me taire consentir à lui obéir. Ce misérable
m’épargna pourtant, mais bien plus dans la crainte
de saltii’er la colère de son père et de son oncle.
Dost-Mohammed, que par pitié pour moi. Il me
tint pendant près de deux heures sous le poids de
scs menaces de mort et donna l’ordre en ma présence
de faire rougir des fers et bouillir de l’huile pour me
torturer et vaincre mon obstination : mais ses menaces
m’exaspérèrent davantage et il se retira sans avoir pu
me faire céder. Ses Sipahis restèrent là foute la nuit,
cherchant à me tourmenter et s’amusant à m’empêcher
de dormir, sans arriver à un meilleur résultat.
22 et 23 septembre. — A huit heures du matin le
Serdar revint accompagné du Mollah, précepteur de
son fils, le même qui avait voulu me faire exterminer,
à Mahmoud-Abad, pour une feuille du Koran perdue
par lui et retrouvée par moi. Ce cafard m’annonça du
ton le plus mielleux que son inlervention avait calmé
le Serdar à mon endroit, et me promit un traitement
honorable de sa part, si je consentais seulement
à me laisser circoncire et à devenir musulman.
Il épuisa vainement toute son éloquence pour m’y
déterminer; je restai complètement silencieux, car
j ’avais tout de suite découvert un piège dans cette
proposition, qu’il savait bien que je n’accepterais pas.
Si je m’étais rendu à ses désirs, je renonçais à tous
mes droits d’Européen pour me soumettre à*l’arbitraire
de la loi musulmane ; et, en se prévalant de mon
abjuration, on pouvait répondre par ce fait seul à
toutes les réclamations des Anglais, dont ôn me supposait
le compatriote : mais ce n’était pas là-dessus
probablement qu’on avait le plus compté. En me
voyant si irrité on avait espéré que je blasphémerais
contre l’Islamisme, et suivant leur croyance il leur