
delà des limites de la province. Comment pouvoir
alors préciser les choses pour l’avenir avec ces changements
continuels? Ce que j ’ai dit de la dépaysation
des Djem-Chidis, des Hézarèhs, des Zéïdnats et des
Téhimounis, doit faire apprécier toute la difficulté
d’un pareil travail.
A bi-Révân 1. — 19 juillet. — Étape de 14 farsângs.
— Le Serdar ayant terminé toutes ses dépêches pour
Hérat, nous partîmes pour cette ville le 19 au soir.
Ce fut, je l’avoue, un des moments les plus pénibles
que j ’aie éprouvés pendant mon voyage, car Habib-
Ullah-Khan poussa le zèle et la prudence jusqu’au
point de me séparer de mes excellents compagnons
de voyage, les Hézarèhs Rabi et Roustem, sous le
prétexte qu’on ne trouverait pas assez de chevaux
dans les campements et les villages où nous devions
relayer. J’offris de payer la location de leurs montures,
mais il n’accepta pas davantage : l’ordre qu’il
me remit portait que six chevaux devaient nous
être fournis partout où nous les demanderions, deux
pour moi et mon domestique, deux autres pour son
courrier et un homme à son service qui nous accompagnaient,
les deux derniers pour les bagages. Il me
fallut non-seulement payer pour ceux que je montais,
mais encore ceux de ses gens, et cela à l’avance,
parce que le Serdar voulait s’approprier le montant de
la recette. C était peu de chose, il est vrai, mais pour
un Afghan, un bénéfice, quelque modique qu’il soit,
est une bonne aubaine dont il profite toujours, bien
i Nom qui signifie eau courante.
convaincu qu’il est delà nécessité des petits ruisseaux
] pour alimenter les grandes rivières. Je me séparai,
le coeur s e rré , des braves compagnons qui m’avaient
montré tant de dévouement : leurs courses et
leurs peines devenaient infructueuses et ils n’avaient
éprouvé que des désagréments pour avoir associé leur
fortune à la mienne. En les quittant, je leur glissai
quelques pièces d’or dans la main, et j ’étais déjà loin
que je les entendais encore appeler la bénédiction du
j ciel sur mon voyage.
Nous traversâmes jusqu’au jour d’assez hautes
montagnes, dont il me fut difficile de distinguer les
sinuosités à la pâle lueur des étoiles : ce fut seulement
au lever du soleil que nous débouchâmes dans
une plaine, où, après avoir cheminé deux heures,
nous arrivâmes au campement des Nourzéhis de Abi-
Révân. Nous y avions été précédés- par une foule
1 : d’Afghans, venus je ne sais d’où, qui se gorgeaient là
; j aux dépens de ces nomades. L’hospitalité qu’on reçoit
V sous la tente, parmi ce peuple, est un moyen pour
beaucoup d’entre eux de vivre aux dépens des autres;
1 ils vont de campement en campement et s’y rassasient
gratis, sans faire la moindre dépense. Ils sont ainsi en
s course la plus grande partie de l’année'; c’est une véritable
tyrannie, ou plutôt une mendicité légale, exercée
par le plus grand nombre sur le plus petit, c’est-à-
dire par les fainéants sur les gens laborieux. A dire
vrai, ces derniers se procurent de temps en temps
quelques dédommagements, car tout Afghan, qu’il
I travaille ou qu’il se croise les bras, est toujours un vé-
I ri tablé oiseau de proie : il faut constamment se méfier
s