
d'apoplexie ; mais Djabbar-Khan profita d'un moment
où je me roulais à terre par suite des douleurs
que j'éprouvais à la suite d’un coup de pied qu’un
de nos chevaux m’avait lancé dans le bas-ventre,
pour absorber le précieux liquide, et je m'aperçus de
ce larcin au moment où j’en demandai moi-même
une portion pour me remettre un peu. Aux reproches
que je lui adressai il répondit qu'il ne voyait pas matière
à mon courroux, parce qu’il avait avalé un
peu de boue qui avait à peine suffi à humecter ses
moustaches : « L’eau, ajouta-t-il en me persiflant, est
« la boisson des musulmans, celle des infidèles comme
« vous est le vinr chacun noire lot; je n’ai point em-
« piété sur le vôtre, ne m’ennuyez donc plus.» Il me
fallut encore souffrir sans pouvoir rien dire.
Quatre heures avant le jour, nous débouchâmes
par le défilé de Dervazè dans l’immense plaine de
Bakoua, laissant derrière nous les montagnes et ayant
devant nos yeux une surface plane à perte de vue,
dont la nudité et la monotonie n’étaient modifiées
que par deux ou trois monticules isolés, placés çà et là
à une très grande distance les uns des autres. Les montagnes
très-escarpées et très-élevéesqui bordent cette
plaine au nord sont sans doute les limites méridionales
de la contrée que les anciens nommaient la Pa-
ropamisade; celles à travers lesquelles nous avions
cheminé depuis Hérat en étaient aussi la frontière,
dans la direction ouest. Dès qu’on les a franchies, le
pays s’ouvre au delà sur d’immenses plaines, parmi
lesquelles celle de Bakoua peut être considérée comme
la plus vaste, mais non pas la plus peuplée. On y voit
quelques rares villages ou campements de nomades,
dans la partie nord ; d’autres, en plus grande quantité,
sont situés sur les bords de l’Hirmend ou du Khachek-
Roud, mais toute la partie centrale est inhabitée, non
pas qu’elle soit stérile, mais parce qu’elle manque
d’eau pour tempérer l’aridité du sol et arroser les cultures.
Autrefois, de nombreux kariz y conservaient
l’eau de la montagne et une foule de villages s’y
étaient établis; mais depuis une centaine d’années,
ces plaines ont été le théâtre de combats presque
incessants entre les armées du Kandahar et celles du
Hérat, et elles se sont dépeuplées par suite des désagréments
de tout genre que leur position sur la frontière
de ces deux États leur attirait. La chaleur est excessive
dans la plaine de Bakoua, cependant l’air y est
salubre; on n’y voit d’autres arbres que de maigres
broussailles de tamariscs et de mimosas. Si elle était
peuplée et cultivée comme elle peut l’êire, elle
deviendrait un véritable grenier d’abondance pour
l'Afghanistan. Nous nous arrêtâmes à Tchàh-Guèz,
près de l’eau saumâtre d’un kariz à proximité duquel
étaient établies quelques tentes de nomades. Bakoua
n ’est pas le nom d’une localité, mais d’un district don»
la circonscription embrasse toute la plaine.