
L’un des plus grands déplaisirs qu’on éprouve
à voyager dans ces immenses solitudes est l’incertitude
dans laquelle on se trouve toujours sur la
distance à franchir. Les habitants de ces contrées
n’ont pas de montres; la plupart d’entre eux ignorent
Le Serdar Fatteh-Khan qui connaissait nos projets, et en qui
nous avions toute confiance, accompagna le docteur Login et son
escorte avec ses cavaliers, pendant toute une partie de la nuit,
marchant en tète du corps guidé par le major Todd. A l'aube,
ils mirent leurs chevaux au galop pour s’emparer les premiers
des puits et des sources d’eau, de peur qu’ils ne fussent occupés
par les hommes de Akhter-Khan.
Ces points étaient libres, et les cavaliers y attendirent le gros
de la caravane. On procéda ensuite de la même manière, en approchant
d’une autre source et de la halle ordinaire, située à
cliquante milles de Dilaram, où l’avunt-garde attendit l’arrivée
de l’arrière-garde.
On s’arrêta là le temps nécessaire pour laisser rafraîchir les
hommes et les animaux, puis l’on se remit en marche comme le
soir précédent; mais l’on jugea prudent de ne point montrer de
feu, dans la crainte d’attirer l’attention des Afghans, et on
éprouva la plus grande difficulté à trouver la route pendant la
nuit. Des nuages vinrent obscurcir les étoiles qui nous guidaient;
notre guide Conid, à la main unique, célèbre dans le pays pour
conduire les caravanes, se vit contraint de palper le sol aride
du désert pour trouver les traces de la route, et il réussit. Ce
fut à l’aide d’un cavalier qui allait de l’avant-garde à l’arrière-
garde, et vice versâ, que l’on put entretenir une communication
entre ies deux corps de la caravane. Aussitôt que l’aube parut,
l’avant-garde s’élança en avant à la découverte.
Lorsque nous fûmes parvenus à un certain endroit abrupt
près de Haouz, que l’on nous avait assuré être un rendez-vous
favori des maraudeurs Béloutches, et où probablement devait
se trouver un des co ps de troupes de Akhter-Khan, nous avançâmes
avec plus de précautions, en ayant soin de placer les gens
armés à cheval en tète et sur les flancs. Tout à coup un de nos
même les divisions du temps et de l’espace connues
en Europe; ils les partagent à leur manière, c’est-à-
dire d’une prière à l’autre, d’un repas à l’autre, du
temps de dormir à celui de se lever; il en résulte que,
chacun estimant les distances suivant la longueur de
cavaliers accourut annoncer qu’il avait vu un grand nombre de
chevaux sellés, cachés dans un ravin près de Haouz. Nous nous
disposâmes au combat selon la mode afghane : ( n roula les manteaux,
on resserra les sangles des chevaux, 011 assura les turbans
sur la tê te , 011 retroussa les manches, on tira les sabres des
fourreaux et Ton amorça les armes à feu. Le signal donné par le
cavalier avait été aperçu par le corps du centre, marchant à un
mille de distance de nous. Le major Todd nous envoya donc
bientôt un renfort considérable qui nous rejoignit au grand galop,
et chaque cavalier s’efforçail de ressembler à un vrai Rous-
tem. Le docteur Login trouva bientôt étrange qu’aucun ennemi ne
se fût montré et que les gens armés placés en tête ne se fussent
pas repliés sur le gros de la caravane ; au lieu de le faire, ils
avaient disparu derrière les anfractuosités des rochers et nous
ne pouvions plus les apercevoir. 11 proposa au Serdar d’aller voir
ce que tout cela signifiait. Bientôt le docteur et son compagnon
aperçurent en descendant un ravin un convoi d’ânes chargés de
beurre et de sacs de maïs, venant de la vallée de THirmend,
et escortés par un grand nombre d’Afghans à pied. Les ânes
étaient bâtés et chargés au moment où notre vedette les avait
aperçus; mais, grâce au brouillard, on les avait pris pour des
chevaux. Après avoir franchi ces pasces dangereuses, lorsque
nous nous trouvâmes de nouveau dans le désert uni, nous nous
réunîmes tous et nous avançâmes ainsi en bon ordre vers Girishk,
où nous arrivâmes après avoir traversé sans accident une distance
de cent milles, malgré nos chameaux et autres bêtes de somme
d’un pas lent, et en nous arrêtant seulement quelques heures
à chaque halle. On nous apprit plus lard que nous étions entrés
à temps dans cette ville, car Akhter-Khan avait effectivement
envoyé à notre poursuite un gros de troupes pour nous attaquer,
mais ces soldats étaient arrivés trop lard sur nos talons.—L.