
me préoccuper de leurs mauvais desseins. J’avais fait
un somme lorsque je me sentis rudement secouer par
le bras. En ouvrant les yeux, je vis Lal-Khan écumant
de rage devant moi et me montrant du doigt ces
mauvais vers, que j ’avais écrits au crayon, sur le
mur, dans un moment de désespoir :
Oh! for tune cruelle, oh! sor t épouvantable ,
Ne me te n d r a s - tu pas une main se co u rab le ?
Te plaira- t-il toujours de vouloir m’a c c ab le r?
Qui donc de tant de maux viendra me consoler?
Tant de jour s de malheurs, de soucis, de souffrance,
. Ne satisfont-ils point ta cruel le exigenc e ?
Pendant quelques instants désarme ton courroux
E t fais luire à mes yeux un avenir plus doux.
Courage, soutiens-moi dans cette lutte affreuse,
Qui me livre impuissant aux menées ténébreuses,
Délivre-moi des fers qui me t iennent captif
E t sous un ciel plus doux dirige mon esquif !
Lal-Khan voyait dans celte inscription une conspiration
tout entière, un projet d’évasion ! Que sais-
je? mille stupidités dont il fit une histoire lamentable
au Serdar. Celui-ci envoya aussilôt son neveu, Mohammed
Alem-Khan, pour vérifier le délit qui m’était
imputé. Je fis comprendre sans peine à mon jeune
ami les craintes exagérées du chef de mes gardiens, et
je fus bientôt quitte des persécutions que ce dernier
avait voulu m’attirer. En voyant échouer ses projets
contre moi, Lal-Khan, furieux, fit retomber sa vengeance
sur un pauvre diable qui n’y pouvait rien ;
mais c’était la seule ressource qui lui restât pour
ajouter quelque chose à l’amertume de ma position,
et il la saisit avec empressement. La plus grande partie
des Sipahis préposés à ma garde étaient des musulmans
Sommités; trois ou quatre seulement appartenaient
à la secte des Chiàs.L’un de ces derniers avait
été au service des Anglais et bien traité par eux. Je
lui avais fait quelques petits cadeaux pour rémunérer
des services qu’il me rendait et il s’en montrait reconnaissant.
Lal-Khan lui chercha querelle sous un prétexte
assez l'utile, et Mohammed-Ali (c’était son nom)
répondit à son chef avec toute l'indépendance de parole
habituelle aux Afghans. Le Khan se fâcha et
transforma peu à peu une réprimande relative au
service en une discussion religieuse; il accabla le
Chià d’épithètes injurieuses pour sa croyance : celui-
ci riposta par des invectives contre Omar, Osman et
Aboubekr ; mais le malheureux avait à peine prononcé
d’imprudentes malédictions contre ces trois
Khalifes, réprouvés par sa secte, que vingt poignards
perçaient sa poitrine. Attiré par ses cris, j ’arrivai
dans la cour pour le voir tomber mort au milieu
d’une bande de forcenés qui hachèrent son cadavre
à coups de sabre, le traînèrent ensuite au milieu
des bazars et le pendirent à la fin à un croc, où chacun
vint cracher dessus et l’accabler de malédictions.
Maudire Omar et ses deux successeurs est un crime
qui mérite mille morts aux yeux des Sommités; devant
les témoignages nombreux que pouvait fournir
Lal-Khan sur la culpabilité de Mohammed-Ali, Kouhendel
Khan lui-même n’aurait osé blâmer ses gens
d’avoir commis un pareil meurtre. Je fus atterré par ce
spectacle et envisageai ma position sous les plus noires
couleurs. Elle était réellement affreuse. Depuis trois
mois j’étais exposé à tout espèce de dangers en Afgha