propre intérêt, parce que l’armée anglaise ayant ses
avant-postes établis aux passes de Bolâne, elle pourra
it, en quelques marches, revenir d’un jour à
l’autre à Kandahar. Dans ce cas, je serais un otage
dont ils pourraient tirer un parti avantageux. En attendant,
rien ne changeait dans ma position, et j’entendais
toujours à chaque minute les vociférations et
les railleries de ces gueux de Sipahis. Par un signe
fort intelligible, les uns me faisaient entendre qu’on
me couperait le col, d’autres me faisaient la grimace
ou me tournaient le dos en m’envoyant un gaz nauséabond
au passage. Les gens préposés à ma garde par
le Serdar, au lieu de tenir les autres à distance, les
excitaient au contraire contre moi et interpellaient les
passants : « Eh ! un tel, viens voir l’Inglis, le kiaffir,
il a soif et veut boire. » Alors l’un d’eux lançait sur
moi une grande potée d’eau sale. S’ils disaient que
j ’avais faim, c’étaient des écorces de melon mises en
réserve pour cet usage qui me tombaient sur la tête.
Il y avait de quoi devenir fou. A toutes mes plaintes,
le Serdar me répondait toujours de prendre patience,
qu’il lui était .impossible de faire entendre raison à
ces brutes.
Enfin, le 16, on m’annonça que nous devions quitter
le lendemain Mahmoud-Abad pour aller à Girishk.
Prison pour prison, l’une ne devait pas plus me plaire
que l’autre, mais les malheureux se raccrochent toujours
à la moindre espérance et je croyais trouver dans
ce déplacement quelque adoucissement à mon sort •
cette pensée me réjouissait quelque peu, et j ’éprouvai
bientôt un autre motif de satisfaction. Dans la
journée, le Mounchi trouva l’occasion de faire écrire
par un de ses amis, dont l’écriture était inconnue à
Méhémed-Sédik-Khan, une lettre en mon nom qu’il
adressa secrètement à Kouhendel-Khan. Je m’y plaignais
vivement du traitement auquel j ’étais assujetti
et je lui demandais de la manière la plus pressante ma
liberté, ou une mort prompte mettant fin à mes souffrances.
Girishk. — 17 août.—5 farsangs en huit heures, à
travers une plaine dont le sol est coupé, ondulé et couvert
de broussailles peuplées de perdrix, de daims, de
lièvres et de gazelles.
A trois heures du matin, je me juchai sur un chameau,
au tangage duquel je m’habituai assez difficilement,
et je parcourus ainsi l’étape. La forteresse
de Girishk est située sur une éminence, à dix minutes
de distance de la rivière Hirmend. Un village
est tout auprès : le nom de la forteresse est aussi celui
du district, qui est populeux et très-productif. Le château
de Girishk est fort ancien, mais il a été considérablement
augmenté et restauré par Kouhendel-
Khan, souverain actuel du Kandahar. Ce fort consiste
en un carré long flanqué de tours aux angles, et il ne
serait pas possible de s’en emparer sans le secours de
l’artillerie. Quelques Sipahis anglais, soutenus par
des Afghans dévoués à la cause britannique et commandés
par le Serdar Méhémed-Kouli-Khan, fils du
vézir Fethi-Khan, assassiné par l’ordre de Cliâb-
Mahmoud, résistèrent à toutes les tentatives faites en
1841 par les insurgés pour s’emparer de cette place.
Au temps de leur occupation de l’Afghanistan, les